Antoine Alfred Désiré Carteret
Un dimanche matin vers sa lucarne assis,
Certain vieux ladre en sale souquenille,
Besicles sur le nez, d’une horrible guenille
Tâchait de rajuster les lambeaux désunis.
Le doux soleil de mai brillant sur la masure,
Cet homme avait ouvert sa vitre aux gais rayons.
Par sa vitre nous entendions
De fort papier huilé, chamarré d’écriture.
Tandis qu’en maniant l’aiguille et les ciseaux
Il pensait au trésor gisant dans sa paillasse :
Écus, louis, ducats, vaisselle et vieux joyaux,
Sur sa table une pie, en sautillant, prit place.
C’était d’un sien voisin, honnête savetier,
L’élève, la compagne et l’orgueil et la joie.
L’oiseau prend un chiffon et du bec le déploie,
Puis déroule le fil, puis fait briller l’acier
Des ciseaux qu’il soulève. «Eh ! je crois qu’elle est folle ! »
Dit l’avare en ôtant son gros dé de laiton.
« C’est d’une audace étrange ! Eh bien ! que nous veut-on ? »
Pour réponse la pie avec le dé s’envole.
« Au secours ! A la garde ! Arrêtez le fripon ! »
S’écrie à la lucarne où s’agite sa tête
Le vieillard hors de lui. Vers le faîte d’un toit
L’oiseau dans un grenier entre avec sa conquête.
L’avare avec grand soin considère l’endroit,
Descend, court au logis, se fait ouvrir la porte
Du réduit où sans doute est caché le larcin.
On cherche et l’on découvre un immense butin :
Des anneaux, des gros sous, des clous de toute sorte,
Des ciseaux, des couteaux, un fragment de miroir,
Trois pelotons de fil, du drap, un éteignoir,
Des bouchons, une pipe et cent bribes encore ;
C’était un nid modèle. « Ah ! maudite pécore ! »
S’écria le vieillard en reprenant son bien.
« Tous les objets qu’ici cette voleuse entasse,
« A quoi lui servent-ils ? A rien. »
Tout doux, riche indigent, cet amas c’est le tien,
Car sais-tu mieux jouir de ta lésine crasse ?
L’homme, très-nettement, discerne chez autrui
Les défauts qu’il s’efforce à ne pas voir en lui.
“L’Avare et la Pie”