Fables de l’Académie des jeux floraux
M. Florentin Ducos (1789-1873), un des quarante Mainteneurs,
Lue dans la séance particulière du 29 juin 1838.
” Voyez quel prodige charmant !
Chaque soir, sur cet arbre aux branches dépouillées ,
Un Oiseau tout petit enchante mes veillées
Par l’heureux tribut de son chant. ”
Ainsi parlait un Harpagon cynique,
Qui n’eût pas donné quatre sous
Pour entendre des sons si doux ,
Et qui pourtant vantait son goût pour la musique.
— A Noël, au cœur de l’hiver,
Avoir tous les jours un concert,
Disait-on à ce vieux Avare,
C’est merveilleux autant que rare.
Soignez cet aimable chanteur
Si vous aimez sa mélodie ;
De cette saison ennemie
Adoucissez-lui la rigueur.
Un seul petit flocon de laine
Suffira pour chauffer son nid.
La terre à présent ne fournit
Pas un seul ver, pas une graine,
L’eau gèle dans chaque ruisseau ;
Approchez-lui quelque peu d’eau,
Une nourriture certaine.
— « Oh ! oh ! répliqua l’Harpagon,
Vous voulez que cet amphion
Qui pour tous les passants prodigue ses ramages,
Soit uniquement à mes gages ?
Et d’ailleurs, Messieurs, à quoi bon ?
Contre le froid par son plumage
Il est largement garanti.
Dans son nid quand il est blotti,
L’hiver alors peut faire rage,
Le cher Oiseau n’a rien senti.
Mais il faut l’abreuver, le nourrir… Quelle injure !
Qu’a-t-il à faire de nos soins ?
Vous blasphémez l’Auteur de toute créature;
Il pourvoit à tous les besoins;
Aux petits des oiseaux il donne leur pâture ;
En douter un moment ce serait l’offenser;
Il ne faut donc plus y penser. »
Quelques jours écoulés, la chanson fut finie;
Notre Fesse-mathieu n’en tendit plus l’Oiseau.
« Il s’est laissé séduire à quelque attrait nouveau ;
Il est allé plus loin porter son harmonie;
J’aurais été bien bon, dit-il, sur mon honneur,
D’entretenir ce voltigeur. »
Il approche pourtant, et voit, au pied de l’arbre,
Le chanteur étendu, roide, froid comme un marbre;
Retiré dans un petit coin,
Le pauvre était mort de besoin !
O vous, qui des talents chérissez les merveilles,
Que l’orgueil ou le goût fait partout accourir
Pour enchanter vos veux et charmer vos oreilles!
C’est bien fait de les applaudir;
Mais ce n’est pas assez, il faut les secourir.
“L’Avare et l’Oiseau”
Recueil de l’Académie des Jeux Floraux – 1839