Un avare aimait Les voyages ;
Il le répétait constamment:
Étudier les mœurs, observer les usages
Eût été son amusement.
Il avait de l’esprit. Par-dessus toute chose
Son amour de l’or remportait.
— Moi, j’irais voyager! le moyen? — Triste effet
Dont l’avarice était la cause.
Le prince ayant appris combien il regrettait
De ne pouvoir au loin contenter son envie,
Et d’user sans plaisirs sa monotone vie.
Voulut servir sa passion,
En daignant lui donner certaine mission,
Qui mettrait sous ses yeux, sans un sou de dépense,
De cent peuples divers la bizarre existence.
Il envoie au Crésus ses lettres «te crédit.
Mais le pauvre homme accourt et dit :
— 0 prince ! daignez croire à ma reconnaissance ;
Je suis tout ému quand je pense
À l’excès de plaisir que je pourrais avoir
En promenant mes pas sur la rive lointaine
Où, curieux, j’aurais tant de choses à voir.
Rien ne peut égaler ma peine
D’être obligé de refuser;
Mais seul je puis toucher mes loyers, mes fermages,
Couper mes blés et mes fourrages,
Elever ma maison jusques à cinq étages,
Vendre mes bois. Il faut constamment s’imposer
Mille soins pour sauver sa modeste fortune,
Et, sans jamais thésauriser,
Écarter du logis la misère importune.
0 prince! daignez m’excuser
Et m’accorder une autre grâce.
Prenez un jeune homme à ma place :
J’ai par le monde un beau neveu,
Pour qui ce ne serait qu’un jeu
D’accomplir en tout point la mission lointaine.
Qu’il est heureux! rien ne l’enchaine
A son pays, puisqu’il n’a rien. —
Le prince, en souriant, lui répondit : — Je cède. —
L’avare entassant l’or croit posséder son bien,
Et c’est son bien qui le possède.
“L’Avare et le Prince”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885