Jean-Joseph Monmoreau
Poète et fabuliste XIXº – L’aveugle et le paralytique
Au sein d’une cité vivaient deux malheureux,
Implorant chaque jour l’assistance publique.
L’un était né paralytique,
Et l’autre aux champs d’honneur avait perdu les yeux.
L’aveugle, sans espoir de revoir la lumière,
Cherchait, par de plaintifs accents,
A toucher l’âme et le cœur des passants.
Peu répondaient à sa prière.
Le mépris remplaçait l’amour ;
Et l’amour, c’est beaucoup pour le pauvre en ce monde !
Dans le quartier voisin, au fond d’un carrefour,
Le paralytique, à son tour,
Exhalait sa douleur profonde
Par des pleurs, des sanglots et des cris superflus.
Un jour, celui dont rien n’affecte la paupière
L’entend gémir : bientôt, à sa manière,
Le voilà sous le toit qu’habite le perclus
Abandonné de la nature entière.
— Qu’avez-vous ? lui dit-il ; votre sort est le mien.
— Ah ! répond le perclus, depuis que je respire
Je n’ai pas fait un pas ! j’existe sans soutien !
— En ce cas, à nous deux nous pouvons nous suffire.
Reprit l’aveugle : à compter d’aujourd’hui,
Mon bras vous servira d’appui,
Et vous, par ce moyen, vous pourrez me conduire.
Vous y verrez pour moi, je marcherai pour vous. —
Fait comme dit. S’aimant plus que deux frères,
Ils coulèrent dès lors des jours calmes et doux.
Imitons-les, entr’aidons-nous.
Les peines d’ici-bas deviennent plus légères.
Jean-Joseph Monmoreau, Avril 1865