Ibn-Batuta le voyageur
Aimait, au péril de sa vie,
A parcourir l’Egypte et la Syrie;
Il nous apprend qu’un jour, du haut de sa grandeur,
Le soudan, témoignant son dédain, sa froideur.
Aux habitants du Caire,
Voulut se divertir d’une étrange manière.
En leur donnant pour souverain
Un vil chauffeur de bain
. Le choix tombé sur l’homme misérable.
Le chauffeur, pauvre diable.
S’avisa de régner vraiment tout aussi bien
Qu’un empereur chinois, qu’un monarque indien.
Le peuple l’adorait… Mais il fallut descendre
De ce trône éphémère, et, sans vouloir l’entendre,
Le soudan, envieux
De la capacité du pauvre glorieux,
Ordonna fièrement qu’on lui liât la tête.
Et sans pâlir soudain lui fit brûler les yeux.
Le gouverneur déchu, notre chauffeur honnête,
Avant que de subir Cet infernal supplice,
Cacha sous son bornous, dans un endroit propice.
Un superbe saphir. Privé de la lumière.
Errant à l’aventure et guidé par son chien,
Un Poète l’aborde et lui dit : « Citoyen,
« Ta gloire et ta misère
« Ont su toucher mon cœur,
« J’ai composé pour toi deux chants en ton honneur,
« Je m’en vais te les lire et veux t’en faire hommage.
»L’Aveugle écoute et dit d’un ton ému :
« 0 Poète enchanteur! j’admire ton courage,
« En ce temps-ci, d’encenser la vertu.
« Va, l’inspiration dans tes beaux chants rayonne,
« Prends ce saphir caché, c’est moi qui te le donne,
« C’est mon trésor, et ce doux prix t’est dû. »
“L’Aveugle et le Poète”