Guillot de Saix
L’Aveugle, le Manchot, le Sourd et le Paralytique
imitation de la fable Florian L’aveugle et le paralytique.
« Aidons-nous mutuellement
La charge de nos maux en sera plus légère »,
Dit la fable. Et qui donc soutiendra quelle ment ?
Sa moralité me suggère
De vous conter, après Monsieur de Florian,
Un exemple très véridique
Qui viendra soutenir ce que la fable indique.
Or, c’était au pays riant
D’Alcaria, dans un village…
Tenez le fil et je ferai mon défilage
Sans davantage m’arrêter…
Un aveugle avait à traiter
Certaine affaire dont je il ai point connaissance.
Avec un muet de naissance…
Notre aveugle tant et si bien se remuait
Qu’il était compris du muet.
Bon. Mais pour qu’il comprît
Un homme qui ne cause
C’était une toute autre chose !
Le muet s’agitait comme sur un réchaud.
Un manchot fut quéri pour débrouiller la cause
Et, devant son compère aveugle, le manchot
Traduisit par des mots les signes qu’il vit faire.
Or, il fallait en cette affaire,
Afin que les accords fussent enfin conclus,
— Affaire étrange autant qu’une affaire peut l’être
— Il fallait écrire une lettre.
On fut trouver un vieux magister tout perclus,
L’aveugle et le manchot dictèrent la missive
Que le maître d’école écrivit en cursive,
Le muet la porta de son pas le plus prompt.
L’exemple est là. Ceux qui voudront le comprendront
Ainsi pour s’entraider sans trop longtemps débattre
Ces hommes s’étaient mis en quatre…
Par leur zèle fut exprimé
Ce que le fabuliste avait déjà rimé.
Guillot de Saix
Les Maîtres de la plume : revue bimensuelle de littérature et d’art – administrateur G. Baudinière ; secrétaire général de la rédaction Léo Paillet – Éditeur : Baudinière (Paris).
Date d’édition : 15 décembre 1923.