Madame de Charrière
Poétesse et fabuliste XVIIIº – Le Barbet
Un vieux barbet, cher à son maître,
Chien caressant et dévoué,
S’il se voyait quelquefois rabroué,
Se consolait, tout prêt à reconnaître
Que c’était là le droit du jeu.
Chacun de bile a quelque peu,
Et qui reçoit tous les jours des caresses
Peut bien parfois supporter des rudesses.
De l’amitié les haut et bas
Valent mieux que l’indifférence.
Décidément, moi je le pense,
Et le barbet aussi. Mais ne voilà-t-il pas
Qu’un jour son maître fait l’emplette
D’un petit chien (bichon, levrette,
L’un ou l’autre, il importe peu) ;
Son allure est vive et brillante,
Son poil luisant, son œil de feu,
Et sa manière, en tout, charmante,
Car, sans compter que pour l’esprit
Il est de race précieuse,
Dans l’école la plus fameuse
Pour les tours on l’avait instruit
Le maître à l’excès s’en engoue,
Et sans merci le flatte et loue
En présence du vieux barbet,
Lequel, d’abord tout stupéfait,
Baisse l’oreille, fait la moue,
Puis, de l’humble rôle qu’il joue,
Se dégoûte enfin tout à fait.
Madame de Charrière, Le Barbet