Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Chassé par des chiens, certain loup
Défiait en courant leur rage meurtrière,
Lorsqu’il fut dans sa fuite arrêté tout-à-coup
Par une large et profonde rivière.
Que va-t-il devenir? Il voit dans un bateau
Un villageois qui visitait sa nasse :
« Faites-moi, lui dit-il très-humblement, la grâce
» De me passer à l’autre bord de l’eau. »
» Que comptes-!u me donner pour ma peine ,
» Demande le pêcheur? Sire loup tout tremblant,
(Car jusqu’à lui les échos de la plaine
Portaient déjà les cris de la meule inhumaine ),
Lui répondit, « qu’il n’avait pas d’argent.
» Le ciel, ajouta-t-il, en réserva l’usage
» A l’homme, qu’il créa l’animal le plus sage ;
» Mais si vous me rendez ce service important,
» Je vous promets, foi de loup, trois maximes
» Aussi profondes que sublimes,
« Et qu’il est surprenant de ne pas voir encor
Inscrites sur le marbre en caractères d’or.
» Pour vous prouver combien je suis sincère,
» Jugez-en, voici la première :
» Faites toujours le bien , sans vous inquiéter
» De ce qui peut en résulter. »
Notre manant trouva la maxime si belle ,
Qu’il reçut aussitôt le loup dans sa nacelle.
A-peu-près à moitié chemin,
Le loup ouvrit la gueule , et d’un ton patelin ,
Reprit : « Lorsqu’un trompeur vous promet quelque chose,
» Craignez toujours qu’il ne vous en impose.
» Enfin sur l’autre rive, à peine descendu ,
Le passager rompant de nouveau le silence ,
Avec sa liberté reprit son arrogance ;
Et tutoyant le pêcheur confondu, Lui dit :
« Reçois le prix de ton extravagance ;
» Qui sauve un loup, commet une imprudence :
» Le bien fait au méchant est toujours bien perdu. »
Le batelier mangé prouva cette sentence.
“Le Batelier et le Loup”