Jean-Joseph Monmoreau
Poète et fabuliste XIXº – Le baudet et le cheval
Un villageois brutal et sans raison
(Par malheur, il aimait à boire)
Conduisait son cheval et son âne à la foire :
L’âne comptait ses pas ; sur ce, Martin-bâton
L’avertissait et ne l’épargnait guère.
— Quel triste sort ! disait notre grisou ;
A l’instar de mon pauvre père,
J’ai servi tour à tour les fermiers du canton ;
J’ai porté les paniers, j’ai labouré la terre,
Sans craindre les rigueurs de l’ardente saison.
Ma sonnette éveillait les échos de la plaine.
Jeanne, la gloire du hameau,
Au retour de l’automne, allait dans son domaine
Cueillir le fruit vermeil, nouveau,
Et nous allions le vendre à la ville prochaine.
Mais aujourd’hui, que mes jambes, mon dos,
Fléchissent sous le poids des plus légers fardeaux,
Je suis réduit à manger ma litière !
Je suis maudit, battu, je n’ai plus que la peau,
Et sans le moindre poil ! Voilà tout le salaire
D’un temps bien employé ! Tandis que Culineau,
Chien qui ne fait que ramper, se soumettre,
Et faire patte de velours
A qui lui donne, fut toujours
Le favori de mon ignoble maître !
Comme les hommes sont ingrats,
Farouches et méchants ! On ne sait comment faire
Pour éviter leurs coups et même le trépas ! —
Ainsi sans borne exhalait sa colère
Le malheureux baudet. — Pourquoi tant de clameurs ?
Répondit le cheval, bote alerte et docile :
J’aurai moi-même, un jour, pour prix de mes sueurs,
Un semblable destin. Sur ce point sois tranquille.
Si l’on veut des humains obtenir les faveurs,
Il faut leur plaire ou bien leur être utile.
Jean-Joseph Monmoreau, 20 novembre 1865.