Un berger qui paissait un troupeau sur le bord de la mer, en voyant le calme des flots, se mit en tête de naviguer pour faire du commerce. En conséquence il vendit ses moutons, acheta des dattes et mit à la voile. Mais une violente tempête survint, et, le vaisseau risquant de sombrer, il jeta à la mer toute sa cargaison, et se sauva à grand’peine avec son vais-seau vide. Assez longtemps après, un homme vint à passer. Comme il admirait le calme de la mer, qui était en effet tranquille à ce moment, notre berger, prenant la parole, lui dit : « Ah ! mon brave, elle a encore envie de dattes, à ce qu’il paraît : c’est pour cela qu’elle se montre tranquille. »Cette fable montre que les accidents sont des leçons pour les hommes.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Berger et la Mer
Du rapport d’un troupeau dont il vivait sans soins,
Se contenta longtemps un voisin d’Amphitrite:
Si sa fortune était petite,
Elle était sûre tout au moins.
A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien qu’il vendit son troupeau,
Trafiqua de l’argent, le mit entier sur l’eau.
Cet argent périt par naufrage.
Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef comme il était jadis,
Quand ses propres moutons paissaient sur le rivage:
Celui qui s’était vu Coridon ou Tircis
Fut Pierrot et rien davantage.
Au bout de quelque temps, il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine;
Et comme un jour les vents, retenant leur haleine,
Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux:
“Vous voulez de l’argent, ô Mesdames les Eaux,
Dit-il, adressez-vous, je vous prie, à quelque autre:
Ma foi! vous n’aurez pas le nôtre.”
Ceci n’est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la vérité
Pour montrer par expérience,
Qu’un sou, quand il est assuré,
Vaut mieux que cinq en espérance;
Qu’il se faut contenter de sa condition;
Qu’aux conseils de la mer et de l’ambition
Nous devons fermer les oreilles.
Pour un qui s’en louera, dix mille s’en plaindront.
La mer promet monts et merveilles:
Fiez-vous y; les vents et les voleurs viendront.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)