Gardons-nous d’écouter un conseil téméraire,
Cet avis vint-il d’un ami.
Pour s’être, en pareil cas, conduit à la légère,
Apprenez à quel point certain Bœuf fut puni :
Dans un canton de la Rhétie,
Un Bœuf lourd, un léger Chamois,
Broutaient tous deux l’herbe fleurie.
Le feuillage tendre des bois.
Le Chamois dit au Bœuf : depuis tantôt six mois,
Pour vous j’ai quitté la montagne ;
Il convient qu’à son tour mon ami m’accompagne
Sur ces monts,
Où l’on peut respirer l’air pur à pleins poumons.
Pour vous, pas de danger, pas de pente rapide ;
Pouvez-vous hésiter quand l’amitié vous guide !
Du moins, conduisez-moi jusqu’au premier relais,
Que vos vœux du départ apaisent les regrets,
Combien est éloquent d’un ami le langage !
Le Bœuf, sur cet avis, imprudemment s’engage
Dans de rudes sentiers : déjà baissait le jour
Avant que l’un des deux ne songeât au retour.
Il faut se séparer ; le Bœuf pesant retourne
Sur ses pas, mais bientôt la tête, hélas ! lui tourne,
En voyant toujours devant lui l’abîme, et pas un seul appui.
Pendant que le Chamois gagne d’un pas alerte
Les Larres paternels, le Bœuf court à sa perte,
Il s’égare au sein des halliers.
Dans ces lieux inhospitaliers,
Il meurt de fin prématurée ;
Les ours, les loups en font curée.
Ainsi les plus sages sont pris,
Même aux conseils de leurs amis.
Et cela se conçoit : l’homme par le fait s’aime
Autant et plus que tout, quand il donne un avis
Il pense d’abord à lui-même.
“Le Boeuf et le Chamois”