Avec discernement cédez à l’amitié ;
De son voile souvent l’intérêt seul se couvre.
C’est un abyme affreux que sous vos pieds il ouvre,
Pour vous y perdre sans pitié. De cette vérité ,
je veux, à ma manière,
Vous rendre , s’il se peut, l’évidence plus claire.
C’était l’hiver. Un feu qu’un voyageur avait,
Selon toute apparence,
Délaissé près d’un bois , sous la cendre couvait ;
Mais sans quelque aliment, il n’est pas d’existence,
Et petit-à-petit notre feu s’éteignait.
L’infortuné , voyant sa fin prochaine ,
En ces termes s’adresse au bois :
— O mon ami, que ton sort me fait peine !
Vraiment il est cruel ; d’où vient que je te vois
Tristement solitaire,
Dépouillé de feuillage , ainsi geler tout nu ?
Dans un pareil état, comment es-tu venu ?
— La neige en est la cause, elle envahit la terre,
Répond le bois > et d’ordinaire,
L’hiver je n’ai ni fleurs, ni fruits.
—L’hiver, dis-lu, parbleu! moi, j’en fais mon affaire,
Pourvu qu’à mes efforts les tiens soient réunis,
Reprend le feu , tu peux compter sur mes services.
Je suis le frère dû soleil ,
Et pour rendre de bons offices ,
Mon pouvoir au sien est pareil ;
Et même, empêche-t-il que les fleurs ne périssent?
Eh-bien , l’hiver , demande un peu
Aux serres, mon ami, des nouvelles du feu..
La neige tombe … et les lys y fleurissent.
L’aquilon souffle.. . et les fruits y mûrissent.
C’est à moi seul pourtant que l’honneur en revient.
De se vanter à nul il ne convient ;
Mais au soleil je puis , sans trop de confiance,
Le disputer pour la puissance.
L’hiver, avec orgueil il brille ; son éclat
A la neige peut-il porter la moindre atteinte ?
Il parvient au coucher, sans y laisser d’empreinte.
Moi, je livre à la neige un bien autre combat.
Et juge de la différence :
Si je parais, la neige fond.
Entre elle et moi tu peux voir quelle est la distance.
Mon pauvre ami-, si tu veux donc
Que tes arbres, au tems ou la sève s’arrête,
Du printems , de l’été conservent la faveur,
Accorde-moi dans ton intérieur
Un petit coin pour ma retraite.
Le bois d’y consentir, sans se faire prier.
Alors le feu n’était qu’une étincelle ,
Mais admis dans le bois , il devint un brasier,
Un brasier ne dort pas , bientôt il se décèle ; ,
Le feu gagne, et détruit tout dans ses environs ,
De branche en branche il étend ses ravages ;
Une épaisse fumée , en brûlans tourbillons ,
S’élève , en mugissant , jusqu’au sein des nuages.
Le bois bientôt n’est plus qu’un immense foyer,
Pas un arbre n’échappe, et tous jusqu’au dernier,
Tombent, cruellement dévorés par les flammes.
D’un ingrat tels sont donc les procédés infâmes !
Et dans ces mêmes lieux, où contre la chaleur
On se plaisait sous le feuillage ,
À venir chercher la fraîcheur ,
Des arbres,qui naguère offraient un doux ombrage,
On ne retrouvait plus que les troncs ruinés.
Devons-nous en être étonnés ?
Nous le savons; en conscience,
Le bois avec le feu peut-il faire alliance ?
“Le Bois et le Feu”