Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Sans se vouer à l’uniformité,
Heureux qui sait unir l’utile à l’agréable !
Le précepteur, pour être aimable ,
Doit recourir à la variété.
Je vais vous faire voir, amis, combien la fable
Peut ressembler à la réalité,
Et vous montrer combien la vérité
Peut quelquefois n’être pas vraisemblable.
J’ai connu dans Paris deux fort honnêtes gens ;
Ils s’étaient mariés sans chercher l’opulence ,
Et devinrent époux, sans cesser d’être amants :
Une semblable connaissance
Me procura maint agrément.
Nos deux époux s’aimaient infiniment,
Parce qu’ils s’estimaient on ne peut davantage.
Pendant vingt ans qu’ensemble ils ont vécu,
Rien n’altéra jamais la paix de leur ménage :
C’est ainsi que le mariage
Est vraiment un bonheur d’élu.
Ils eurent des enfants : formés par la vertu,
Ils en sentirent l’avantage ;
Fruit d’un zèle bien entendu,
Leur éducation fut contraire à l’usage.
Rien ne gêna d’abord leur jeune liberté ;
On ne pensa qu’à leur santé :
Quand la raison vint avec l’âge,
On s’occupa, jaloux de leur bonheur,
A leur former et l’esprit et le cœur.
Alors, sans avoir Pair de se faire un partage,
Le père crut devoir s’attacher aux garçons ;
La mère se chargea des filles,
Et l’exemple appuya d’excellentes leçons.
Que n’en est-il ainsi dans toutes les familles !
La mère avant que de mourir
A vu ses filles établies ;
Ses filles n’étaient pas jolies,
Et leurs époux n’ont pas cessé de les chérir.
Le père a survécu deux lustres à sa femme,
Sans un seul instant oublier
L’objet de sa première flamme,
Sans songer un instant à se remarier.
Il a fait de ses fils, suivant leur caractère ,
De l’un, un fort bon militaire ;
De l’autre , un parfait citoyen.
Ce récit, mes amis, a l’air très-vraisemblable:
Mais gardez-vous d’en croire rien !
Car je viens de faire une fable.
“Le bon Mari et la bonne Femme”