Hâtant vers un marais sa marche chancelante,
Un canard balançait sur ses deux pieds boiteux
Sa masse grossière et pesante
Et barbotait cet éloge orgueilleux :
Heureux canards, peuple chéri des cieux.
Canards, vrais rois de la nature.
Quel pouvoir vous avez ! Que d’attributs divers !
A moi, quand il me plaît, l’eau, la terre et les airs.
Bipède, oiseau, poisson, sublime créature…
— Ami, canard, interrompit quelqu’un
(Un vieux goujon, à ce que dit l’histoire),
S’essayer en tout genre est une faible gloire,
Quand on n’excelle dans aucun. Vous volez,
vous marchez, vous nagez : bagatelle !
Volez-vous comme le faucon ?
Marchez-vous comme la gazelle !
Nagez-vous comme le saumon ?
Hommes universels dont fourmille la France
Que j’aimerais vous voir quelque brin d’ignorance!
Bornez-vous ; le beaucoup est l’ennemi du bien.
Vous savez tout: hélas! vous ne savez donc rien!
“Le Canard”
- Jacques-Melchior Villefranche – 1829 – 1904