Ma sœur, vois-tu là-bas, là-bas,
Vois-tu ce tourbillon s’élever sur la route !
Comme il grossit ! vers nous comme il vient à grands pas !
Que nous annonce-t-il ? Un carrosse, sans doute.
— Oui, mon frère, et celui d’un prince assurément.
— Ah ! dis plutôt du roi ; car, très-distinctement,
Je vois d’ici ses équipages,
Ses gardes-du-corps, ses courriers,
Ses postillons, ses écuyers,
Ses chiens et même aussi ses pages.
Pendant que le frère et la sœur,
Enfants plus hommes qu’on ne pense,
Jugeaient ainsi sur l’apparence,
Le poudreux tourbillon de plus en plus s’avance
Et permet à leurs yeux d’en percer épaisseur.
Produit par un cortège en sa course rapide,
Que cachait-il ? C’ était, je ne puis le nier,
C’était les ânes d’un meunier
Qui galopaient autour de sa charrette vide.
Je vous laisse à penser quel fut l’étonnement,
J’allais presque dire la honte,
De nos pauvres petits en voyant leur mécompte.
Le père en rit d’abord ; et puis, très-sensément :
” -Votre erreur, leur dit-il, n’était pas si grossière.
” Les grands et les petits ne différent pas tant
” Que vous pensez ; maint faille prouve à chaque instant.
” Rien, surtout, mes amis, ne se ressemble autant
” Que les hommes dans la poussière.”
“Le Carrosse et la Charrette”