Dans un bois du Canada,
Certain jour, un ours aborda
Un castor par la Nature,
Ainsi que lui, doté d’une chaude fourrure,
Mais plus que lui laborieux.
Le quadrupède industrieux,
En bâtissant sa maisonnette
Qu’il faisait bien close et proprette,
Employait sa queue et ses dents,
Ces précieux instruments
Que lui donna la Providence ;
Il coupait d’épais rameaux
Dont il endiguait les eaux
Avec adresse et vigilance,
Ou bien plaçait en faisceaux
Jeunes érables et bouleaux ;
Car pour l’hiver sa prévoyance
S’occupait de sa subsistance.
Plus facétieux qu’on le pense,
L’ours lui cria : « Parbleu ! l’ami,
« Tu ne sembles pas endormi;
« Mais qui diable te condamne
« À construire une cabane,
« Ainsi que les Algonquins,
« Ces Peaux-Rouges, ces faquins
« Qui, sous des tentes, s’abritent
« De la pluie et des maringouins,
« Ou dans des wigwams habitent.
« Ne vaudrait-il pas mieux pour toi
« D’un arbre creux la retraite !
« C’est une maison toute faite
« Que tu peux trouver comme moi,
« Un sûr abri de la tempête ;
« Là ! logé gratis tout l’hiver,
« Paisible, ainsi qu’un trappiste,
« Je reste gras, en bonne chair ;
« Au froid le plus dur je résiste
« Et le chasseur y perd ma piste.
« Imite-moi donc mon cher. »
Interrompant à regret son ouvrage,
Le castor à ce langage
Répondit en peu de mots :
« Parmi nous autres animaux
« Les uns, ainsi que votre seigneurie,
« Le léopard, le tigre et le lion
« Dédaignent tout travail, toute industrie.
« Une plus haute ambition
« Vous fait considérer comme un soin inutile
« De vous construire un domicile
« Et vous excite à conquérir
« Par force et sans labeur ; moi, pour ne pas périr
« De faim, j’imite l’abeille
« L’hirondelle, la fourmi.
« Loin de rester endormi,
« Nuit et jour il faut que je veille
« Soit pour ma sécurité
« Soit pour notre société,
« Car le nombre, chez nous, supplée à la faiblesse.
« J’espère donc que votre altesse
« (Ajouta le castor, comme péroraison,)
« Jugera dans sa sagesse
« Que le castor a raison
« D’édifier sa maison. »
Il en est ainsi chez l’homme.
Les grands et ceux qu’on renomme,
Pour leur richesse et leur pouvoir,
Dédaignent de se pourvoir
D’un gîte et de subsistance
Par le travail de leurs mains.
C’est l’ouvrier, humble engeance
Qui doit suer pour des maîtres hautains.
Qu’est-il besoin de science
D’arts, de pénibles efforts
Pour le possesseur de trésors
Qui, grâce à son opulence,
Nage dans les plaisirs et vit dans l’indolence,
Le fils du riche, en naissant
N’est-il pas riche et puissant !
“Le castor et l’ours”