Une fois, le hérisson et le chacal firent bien as-tu de ruses?
— « J’en ai cent et la moitié d’une », répondit le chacal, et il lui demanda à son tour : « Combien as-tu de ruses? »
— La moitié d’une. Ils marchèrent en se promenant sur la route jusqu’à ce qu’ils arrivèrent à un douar au milieu de la nuit. Ils trouvèrent un silo, descendirent tous deux à l’intérieur et mangèrent du blé jusqu’à ce qu’ils furent rassasiés. Le hérisson dit au chacal : « Baisse-toi, pour que je monte sur ta tête et que je regarde. » Le chacal se baissa, le hérisson monta sur son dos, sauta et retomba hors de l’ouverture du silo, laissant le chacal à l’intérieur.
Il lui dit : « Sauve-toi (comme tu pourras). Vois, moi qui n’ai que la moitié d’une ruse (je me suis sauvé) ; toi qui as cent ruses et demie, tu ne peux te tirer du milieu du silo »
Note sur le conte par René Basset :
Note sur le conte par René Basset : Recueilli à Cherchell en 1884 où il m’a été conté par Si Moh’ammed Abili, fils du qaid du Smian. Le texte et la traduction ont été publiés dans la seconde série de mes Notes de lexicographie berbère, n° VI, p. 98-100.
Je connais trois autres recensions de cette fable : la première, le dialecte de l’Oued Noun, que j’ai recueillie à Oran en 1883; la seconde, en zouaoua fait partie d’un recueil de la Bibliothèque nationale (fonds berbère, n°1); la troisième est traduite dans ce recueil (n° 2). Le sujet est aussi raconté en arabe chez les Hadjoutes, mais avec plus de développements. Tiré d’affaire, le hérisson conseille à son compagnon de faire le mort et d’attendre que le propriétaire trompé le jette hors du silo. Cette dernière version a été traduite et amplifiée par le colonel Trumelet (Les Saints de l’islam, ch. VII. Le Chacal et le Hérisson ; Blida, récits selon la légende, la tradition et l’histoire. Alger, 1887, 2 v. in-8°, t. 1, ch. 9). La même histoire se retrouve avec des variantes chez les Slaves du Sud : Le renard a soixante-dix ruses et le hérisson trois, grâce auxquelles ils échappent de la fosse aux loups où ils sont tombés tous deux (Krauss, Sagen und moerchen der Sud-Slave», t. I, fabl. XIII).
Il est curieux de rencontrer ici les données de deux fables de la Fontaine réunies en une seule : le Chat et le Renard (fables XI, 5) où les deux animaux disputent sur le nombre et la valeur de leurs ruses, le fabuliste français a emprunté ce sujet aux Apologues de Regnerius (pars 1, fab. XXVIII, Catus agrestis et Vulpes); il a été traité depuis par Desbillons (Fabulae aesopiae, v. 37, Vulpis et Ericius). Une des plus anciennes rédactions que je connaisse existe en espagnol (La Raposa e el Gato) et fait partie d’un recueil manuscrit intitulé : Expejo de legos, qui date probablement de la seconde moitié du XIV siècle, comme le livre des Exemples….
…Nous retrouvons également dans le conte berbère la donnée de la fable de La Fontaine : Le Renard et le Bouc (Fables, III, 5), empruntée par lui à Phèdre (IV, 5, Vulpes et hircus) et aux fables ésopiques {Le Renard et le Bouc, Fabulae aesopiae, ed. Halm, n° 45, p. 22). et imitée par Desbillons {Fabulae aesopiae m, 10, Vul-pis et Caper). La Fontaine s’est sans doute servi de l’édition de Rinuccio d’Arezzo (Aesopi Phry-gis et aliorum fabulae a° 5, De vulpe et trago) : c’est également la source de l’anonyme turk (De-courdemanche, Fables turques, n’ 2, le Renard et le Bouc). Cf. une variante donnée par Grimm : Kinder-und Hausmœrchen n° 73 : le Renard et le Loup. (Le Chacal et le Hérisson)