Pañchatantra ou fables de Bidpai
4e. Livre – XI. — Le Chacal et l’Eléphant mort
Il y avait dans un endroit d’une forêt un chacal nommé Ma-hâtchatouraka . Il trouva un jour dans la forêt un éléphant mort de lui-même. Il tourna tout autour de lui, mais il ne put fendre sa peau dure. Pendant ce temps, un lion courant çà et là vint en ce lieu même. Quand le chacal le vit venir, il mit à terre le cercle de sa touffe de cheveux, joignit les deux mains, et dit humblement : Seigneur, je suis ici votre porte-massue, et je garde cet éléphant pour vous. Que Sa Seigneurie le mange donc. Le lion, lorsqu’il le vit incliné, dit : Hé ! je ne mange jamais une bête tuée par un autre. Et l’on dit :
Dans la forêt même, les lions, qui se nourrissent de la chair des animaux, ne mangent pas d’herbe quand ils ont faim : ainsi les gens bien nés, accablés par l’infortune, ne s’écartent pas du chemin de la morale.
Par conséquent je te gratifie de cet éléphant. Lorsque le chacal entendit cela, il dit avec joie : Cela est convenable à un maître envers ses serviteurs. Car on dit :
Même dans la dernière condition, celui qui est grand n’abandonne pas les qualités de maître ; grâce à sa pureté, le coquillage ne perd pas sa blancheur, quand même il tombe du bec du paon.
Mais après que le lion fut parti, vint un tigre. Lorsque le chacal le vit, il pensa : Ah ! j’ai pourtant éloigné un méchant en me prosternant. Comment donc maintenant éloignerai-je celui-ci ? C’est sûrement un brave ; je n’en viendrai certainement pas à bout sans la discorde. Car on dit :
Là où il n’est pas possible de faire usage de la conciliation ni des présents, il faut employer la discorde, car elle produit la soumission.
De plus, celui même qui possède toutes les qualités est enchaîné au moyen de la désunion. Et l’on dit :
Renfermée, cachée, bien ronde et très-belle, la perle, même quand elle est percée, peut être attachée.
Après avoir ainsi réfléchi, il s’avança vers le tigre, le cou relevé fièrement, et dit avec empressement : Mon oncle, comment viens-tu ici te jeter dans la gueule de la mort ? Car cet éléphant a été tué par un lion, et celui-ci, après m’en avoir établi gardien, est allé à la rivière pour se baigner. Et en partant il m’a donné cet ordre : Si un tigre vient ici, tu m’en informeras avec le plus grand secret, car il faut que je purge cette forêt de tigres, parce que jadis un tigre a mangé dans un lieu désert un éléphant tué par moi, et en a fait un reste. Depuis ce jour je suis en colère contre les tigres. Lorsque le tigre entendit cela, il fut effrayé et dit au chacal : Hé, mon neveu ! fais-moi présent de la vie. Ainsi, quand même il reviendrait ici dans longtemps, ne lui donne aucune nouvelle de moi. Après avoir ainsi parlé, il s’enfuit promptement. Mais quand le tigre fut parti, arriva là un léopard. Lorsque le chacal le vit, il pensa : Ce léopard a des dents solides ; je vais donc faire en sorte que ce soit lui qui fende la peau de cet éléphant. Après qu’il eut pris cette résolution, il lui dit aussi : Hé, mon neveu ! pourquoi ne t’ai-je pas vu depuis très-longtemps ? Et comment ? Tu parais affamé ? Ainsi, tu es mon hôte. Voici un éléphant tué par un lion, qui m’en a établi gardien. Mais cependant, tandis que le lion ne vient pas, mange de la chair de cet éléphant, rassasie-toi et va-t’en bien vite. — Mon oncle, répondit le léopard, si c’est ainsi, je n’ai que faire de manger de la chair, car l’homme qui vit voit des centaines de bonheurs. Et l’on dit :
La nourriture que l’on peut avaler, qui se digère une fois avalée, et qui est salutaire quand elle est digérée, voilà ce que doit manger celui qui désire le bien-être.
On ne mange donc absolument que ce qui se digère ; par conséquent je m’en irai d’ici. — Hé, poltron ! dit le chacal, aie confiance et mange. Je t’annoncerai la venue du lion alors même qu’il sera encore loin. Après que cela fut fait, quand le chacal vit la peau fendue par le léopard, il dit : Hé, mon neveu ! va-t-en, va-t-en ! Voici le lion qui vient. Lorsque le léopard entendit cela, il se sauva au loin.
Mais pendant que le chacal, au moyen de l’ouverture faite par le léopard, mangeait un peu de viande, vint un autre chacal, très-furieux. Quand le chacal vit cet animal de même espèce que lui et d’une force égale à la sienne, il récita ce sloka:
Devant celui qui est très-puissant, qu’il se prosterne ; avec le brave, qu’il ait recours à la discorde ; au faible, qu’il fasse un petit présent ; contre celui qui est aussi fort que lui, qu’il emploie la force.
Il marcha à sa rencontre, le déchira avec ses dents, le mit en fuite, et lui-même mangea longtemps avec plaisir la chair de l’éléphant.
Ainsi, toi aussi, au moyen d’une bataille, sois vainqueur de cet ennemi, qui est de ton espèce, et mets-le en fuite. Sinon, plus tard, toi-même tu périras par lui dès qu’il aura pris racine. Car on dit :
Il faut attendre du produit chez les vaches ; il faut attendre des austérités religieuses chez le brahmane ; il faut attendre de la légèreté chez les femmes ; de son espèce il faut attendre du danger.
Et en outre :
De bons aliments variés, les femmes de la ville nonchalantes : le pays étranger n’a qu’un défaut, c’est qu’on y est hostile à son espèce.
Comment cela ? dit le crocodile. Le singe raconta :
“Le Chacal et l’Eléphant mort”
- Panchatantra 58