Aux portes d’un bourg de Hollande
Deux bourgeois en commun possédaient un terrain ;
L’un d’eux, homme à projets, hasardeux, un peu vain,
Dit à sa femme : Or sus, pour que ce sol nous rende
J’ai trouvé le plus court chemin.
Il nous faut, pour tripler le fonds de ce domaine,
Le convertir en porcelaine.
Par son ordre aussitôt s’élève un magasin,
Tous les agréts sont en campagne ;
Couleurs, fourneaux, bûchers, sont d’abord mis en train ;
Du produit, selon lui certain,
Il bâtit châteaux en Espagne,
Et regarde en pitié le labeur du voisin.
Ce voisin à tête posée
Disoit : Irai-je donc me consumer en frais,
Nourrir, sans rien toucher, compagnons et valets,
Par les modes du jour voir ma bourse épuisée,
Et dorloter un peintre exprès ?
Vivre avec moins de risque un plus simple succès,
Une recette plus aisée !
En briques, sur ce plan, son lot fut converti ;
Au noble, à l’artisan il devint nécessaire,
Le peuple fut son tributaire ;
Si l’on ne l’employoit rien n’étoit bien bâti ;
Son voisin même en eut affaire ;
Il en tira le vrai parti.
Mais de l’homme à projets par un revers funeste
Le fragile trésor dans peu s’évanouit.
A veiller ses fourneaux s’il n’étoit assez preste,
La pâte se gerçoit, l’émail étoit trop cuit,
Un moule éclatoit à grand bruit,
Et du Sève enchanteur l’air galant, le tour leste,
Fît qu’on négligea tout le reste :
De son champ dévasté ce fut là tout le fruit.
Heureux qui choisît bien ! sensé qui persévère !
De nos besoins réels, de leur plus prompt débit,
Vient toujours le plus sûr profit :
Tant vaut l’homme, tant vaut sa terre.
“Le Champ à deux Maîtres”