Le monde n’a jamais manqué de Charlatans.
Cette science de tout temps
Fut en Professeurs très fertile.
Tantôt l’un en Théâtre affronte l’Achéron,
Et l’autre affiche par la Ville
Qu’il est un Passe-Cicéron.
Un des derniers se vantait d’être
En Eloquence si grand Maître,
Qu’il rendrait disert un badaud,
Un manant, un rustre, un lourdaud ;
Oui, Messieurs, un lourdaud ; un Animal, un Ane :
Que l’on amène un Ane, un Ane renforcé,
Je le rendrai Maître passé ;
Et veux qu’il porte la soutane.
Le prince sut la chose ; il manda le Rhéteur.
J’ai, dit-il, dans mon écurie
Un fort beau Roussin d’Arcadie :
J’en voudrais faire un Orateur.
– Sire, vous pouvez tout, reprit d’abord notre homme.
On lui donna certaine somme.
Il devait au bout de dix ans
Mettre son Ane sur les bancs ;
Sinon, il consentait d’être en place publique
Guindé la hart au col, étranglé court et net,
Ayant au dos sa Rhétorique,
Et les oreilles d’un Baudet.
Quelqu’un des Courtisans lui dit qu’à la potence
Il voulait l’aller voir, et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance ;
Surtout qu’il se souvînt de faire à l’assistance
Un discours où son art fût au long étendu,
Un discours pathétique, et dont le formulaire
Servît à certains Cicérons
Vulgairement nommés larrons.
L’autre reprit : Avant l’affaire,
Le Roi, l’Ane, ou moi, nous mourrons.
Il avait raison. C’est folie
De compter sur dix ans de vie.
Soyons bien buvants, bien mangeants,
Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 7. Un des derniers se vantait d’être……
Le fond de cette fable est un fait arrivé dans une petite ville d’Italie ; mais le charlatan n’avait fait cette promesse qu’à l’égard d’un sot, d’un stupide,et non pas d’un âne: cela était moins invraisemblable , mais n’était pas si plaisant. Que fait La Fontaine?
Il charge , pour rendre la chose plus comique ; à la place du stupide, il met un âne , un âne véritable. Pour cela, il fait parler le charlatan même. Scène entre le charlatan , le prince et un plaisant de la cour. De ce fonds , qui était assez médiocre, La Fontaine sait tirer des détails plaisans ; et le tout finit par une leçon excellente.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.

1) Tantôt l’un en théâtre, etc. Il seroit mieux de dire : en plein théâtre ; ou bien sur un théâtre.
(2) Affronte l’Achéron, La mort. L’expression est hardie ; elle est riche et belle. Virgile vante le bonheur de celui qui a mis sous ses pieds l’avare Achéron ( Georg. Liv. II. v. 495 ). Le héros de notre apologue fait plus : il ose le regarder en face, le combattre de front, (Achéron, fleuve des enfers; et les enfers sont, en style poétique, l’empire des morts). Tels ces Saltimbanques que l’on voit sur les tréteaux effrayer l’œil et l’imagination des spectateurs, par les tours d’adresse les plus périlleux, et tout cela pour amasser le peuple et vendre leur orviétan.
(3) Un Passe-Cicéron. Expression devenue proverbiale depuis La Fontaine, pour exprimer une éloquence qui passe celle de Cicéron…lire la suite