Louis de Combettes-Labourelié
Poète, écrivain et fabuliste XIXº – Le chat échaudé
En vain, sous un voile hypocrite,
Nous nous efforçons de couvrir
Le mauvais sentiment qui parfois nous agite ;
Nous finissons par nous trahir.
On portait une femme en terre ;
Son mari suivait en pleurant.
Était-ce une douleur sincère ?
Ma foi! non, car, de son vivant,
L’épouse avait été le diable en son ménage.
Tout à coup, au détour obscur
De l’étroit pertuis du village,
Contre la borne du vieux mur,
La bière s’accroche au passage :
La défunte, à ce choc, se levant en sursaut
( Elle n’était, hélas ! qu’en léthargie ),
S’agite, se secoue, et revient à la vie.
Chacun crie : « Au miracle ! » et le mari, penaud,
Se signant, récitant sa triste patenôtre,
Riant d’un œil, pleurant de l’autre,
Ramène sa femme au logis,
Où, dès le lendemain, elle fit encor pis
Qu’avant sa mort : entassant de plus belle
Coups sur gros mots, querelle sur querelle.
Quelques ans écoulés, enfin notre démon
Parut mourir pour tout de bon.
On la met en caisse ; on l’emporte,
Et l’on prend le même chemin
Que jadis. Le mari suivait la triste escorte,
Semblant plongé dans un sombre chagrin,
La larme à l’œil, le front baissé, l’œil morne.
Mais, parmi ses sanglots,
Il laissait échapper ces mots :
« Amis, n’accrochez pas la borne. »
Louis de Combettes-Labourelié (1817-1881), Le chat échaudé