Air : Ah! vont dirai-je, maman.
Sur le bord d’un clair ruisseau,
Croissait un jeune roseau ;
Il était doux et timide,
Regardant l’onde limpide,
Le jour lui servant de miroir,
Et de bain de pieds le soir.
Quand le moindre vent soufflait,
Le roseau se balançait;
Et puis sa tige agitée
Chantait d’une voix flûtée
Ah! vous dirai-je, maman.
Ce qui cause mon tourment!
Ce qui causait son tourment,
C’était un affreux géant!
Ce géant, c’était un chêne
Aussi vieux que Démosthène,
Qui du haut de sa grandeur
Lui tint ce propos moqueur :
Sur l’honneur, dit-il, mon cher,
On devrait te mettre au vert,
Tu log’s un’ grenouille à peine,
Et pendant qu’elle te genc
J’héberge cinq cents corbeaux,
Qui sur moi sont aux oiseaux!
Je suis l’arbre le plus fort
Et résiste sans effort
A la plus grosse tempête ;
Mais toi lu courbes la tête
Comme le corbeau confus,
Jurant qu’on n’ l’y pinc’ra plus.
J’ai beaucoup d’éducation,
Et pas mal d’érudition ;
Près d’ moi l’on trouve églantine.
Chacun sait que j’ai racine;
Je n’ manqu’ pas d’feuill’s et l’on voit
Souvent corneilles sur moi !
Quoi! lu fais des calembourgs ;
A moi, dit l’autre à son tour :
Je connais plus d’un proverbe,
Ma grand’mère aime les herbes ;
Mais la fontain’ fut toujours
Du roseau les seuls amours!
Transporté d’un haut mépris,
Le chêne lui répondit :
Tu seras jusqu’à ta chute
Du bois dont on fait les flûtes,
Qui vous brisent le tympan
Lorsqu’y souffle certain Pan !
Tu dis que j’ai le cœur dur,
Je m’en fais gloire à coup sûr :
Pour fair’ des voitur’s on m’ tranche.
Dans le tendre bois d’ mes branches;
Mais je suis, quand je m’ fais vieux.
Toujours en fer pour l’essieu !
Tiens, précisément, voici
Que l’horizon s’obscurcit;
Je te parie un décime
Que de mes pieds à ma cime
Je ne vais pas plus broncher
Que de Saint-Malo l’ rocher !
Il faisait ses embarras,
Mais la tempête arrivai
Tout-à-coup le chêne casse…
L’autre se courbe avec grâce…
Au géant déraciné
Le roseau fit un pied d’ nez !…
MORALE
On a tort d’être poltron,
Encor plus d’être fanfaron ;
Les grands font toujours leur tête;
Mais au jour de la tempête,
Vous voyez alors qu’il vaut
Beaucoup mieux être roseau.
Marc Constantin. (Le Chêne et le Roseau)
La musique, arrangée par A. Marquerie, se trouve chez MM. Heugel et Cie, r. Vivienne.