Le vent s’élève ; un gland tombe dans la poussière ;
Un chêne en sort. — Oh chêne ! Osez-vous appeler
Chêne, cet avorton qu’un souffle fait trembler ?
Ce fétu, prés de qui la plus humble bruyère
Serait un arbre ! — Et pourquoi non ?
Je ne m’en dédis pas, docteur ; cet avorton,
Ce fétu c’est un chêne, un vrai chêne, tout comme
Cet enfant qu’on berce est un homme.
Quoi de plus naturel d’ailleurs que vos propos !
Vous n’avez rien dit là, docteur, qu’en leur langage,
Tous les buissons du voisinage
Sur mon chêne, avant vous, n’aient dit en d’autres mots :
« Quel brin d’herbe, en rampant, sous notre abri se range ?
Quel germe inutile ; égaré, à nos pieds végète enterré
Dans la poussière et dans la fange ? »
Messieurs, leur répondait, sans discours superflus,
Le germe, au fond du cœur, chêne dès sa naissance,
Messieurs, pour ma jeunesse ayez plus d’indulgence.
Je croîs, ne vous déplaise, et vous ne croissez plus.
Le germe raisonnait fort juste :
Le temps qui détruit tout, fait tout croître d’abord ;
Par lui, le faible devient fort.
Le petit, grand, le germe, arbuste.
Les buissons, indignés qu’en une année ou deux
Un chêne devînt grand comme eux,
Se récriaient contre l’audace
De cet aventurier qui, comme un champignon,
Né d’hier et de quoi, sans gêne ici se place,
Et prétend nous traiter de pair et compagnon !
L’égal qu’ils dédaignaient cependant les surpasse ;
D’arbuste, il devient arbre, et les sucs généreux
Qui fermentent sous son écorce,
De son robuste tronc à ses rameaux nombreux
Renouvelant sans cesse et la vie et la force,
Il grandit, il grossit, il s’allonge, il s étend,
Il se développe, il s’élance ;
Et l’arbre, comme on en voit tant.
Finit par être un arbre immense.
De protégé qu’il fût, le voilà protecteur,
Abritant, nourrissant des peuplades sans nombre ;
Les troupeaux, les chiens, le pasteur,
Vont dormir en paix sous son ombre ;
L’abeille, dans son sein, vient déposer son miel,
Et l’aigle suspendre son aire
A l’un des mille bras dont il perce le ciel,
Tandis que mille pieds l’attachent à la terre.
L’impétueux Eurus, l’Aquilon mugissant,
En vain contre sa masse ont déchaîné leur rage ;
Il rit de leurs efforts, et leur souffle impuissant
Ne fait qu’agiter son feuillage.
Cybèle aussi n’a pas de nourrissons,
De l’orme le plus fort au genêt le plus mince,
Qui des forêts en lui ne respecte le prince :
Tout l’admire aujourd’hui, tout, hormis les buissons.
L’orgueilleux ! disent-ils ; il ne se souvient guère
De notre ancienne égalité ; enflé de sa prospérité,
A-t-il donc oublié que les arbres sont frères ?
Si nous naissons égaux, repart, avec bonté ,
L’arbre de Jupiter, dans la même mesure,
Nous ne végétons pas ; et ce tort, je vous jure,
Est l’ouvrage de la nature, et non pas de ma volonté.
Le chêne vers les cieux portant un front superbe,
L’arbuste qui se perd sous l’herbe,
Ne font qu’obéir à sa loi.
Vous la voulez changer ; ce n’est pas mon affaire ;
Je ne dois pas, en bonne foi,
Me rapetisser pour vous plaire.
Mes frères, tâchez donc de grandir comme moi.
“Le Chêne et les Buissons”