Blanc comme neige, un Coursier d’Arabie,
A la souplesse alliant la vigueur,
De vingt combats était sorti vainqueur.
Chez les tribus et d’Afrique et d’Asie,
Pour n’avoir point d’égal Zéphir était connu,
C’est le nom du Coursier ; par son avide maître
Il fut livré, non sans regrets peut-être,
Au poids de l’or, à certain parvenu
Plus que lui : fait pour aller paître.
Matin et soir l’inhabile Ecuyer
Se pavane sur sa monture
Dont il altère l’encolure.
On gémirait de le voir s’appuyer
Des mains au pommeau, de la selle,
Et de la bride tourmenter,
Dans sa maladresse cruelle,
La bouche qui jamais n’avait su résister
Au moindre souhait de son guide.
Notre Ecuyer, de victoires avide,
A ses voisins fait un appel,
Et l’on répond à son cartel.
Au jour fixé, dans une immense plaine,
Suivant l’accord fait, on se rend :
L’air est serein, l’œil peut à peine
Apercevoir le terme où chacun tend.
Zéphir, à ces apprêts, hennit, frappe la terre,
Il a de l’œil dévoré la carrière :
L’oreille droite, il fléchit le jarret,
Et de lui-même, il se tient en arrêt.
La barrière s’ouvre, il s’élance ;
Sous ses rapides pieds le sol paraît glisser.
Ses rivaux de l’atteindre ont tous beau s’efforcer ;
Prompt comme un trait, il les devance.
Mais l’Ecuyer, dans ses vœux imprudents,
A la victoire aussi croit sa manœuvre utile,
Du généreux Coursier il déchire les flancs :
Zéphir, jusqu’alors si docile,
En frémit, se cabre et bondit,
Sur ses rivaux il perd l’avance,
De ses hennissements la plaine retentit.
Le jeu des éperons plus actif recommence ;
De pourpre sa robe se teint,
Son flanc dut-il jamais s’attendre à cet outrage ?
En efforts sa vigueur s’éteint,
A quoi servirait son courage ?
Du dépit la cuisante rage
L’a tué : poussant un soupir,
Il meurt au milieu de sa course.
Sachons ménager le plaisir,
Pour n’en point voir tarir la source.
Aime-t-on mieux cette moralité ?
Les heureux dons que Dieu dispense
Sont détruits par la vanité,
Plus fréquemment que l’on ne pense.
On pourrait bien aussi trouver
Quelque autre sens’ à cette fable;
Je l’abandonne à plus capable,
Au but trop pressé d’arriver.
“Le Cheval de course et l’Ecuyer”