Un Cheval aspirant à l’immortalité,
Un nouveau Bucéphale, à flottante crinière,
Qui dans des tourbillons de flamme et de poussière
S’était cent fois précipité,
Couvert de sa housse guerrière,
Revint dans son village, et, voyant un Mouton,
Sans gène, près de lui, tondre, un jour, le gazon,
Lui dit avec dédain : Chétive créature,
Que fais-tu là ? Retire-toi ;
Tu ne peux, sans me faire injure,
Brouter l’herbe si près de moi.
Ignores-tu quelle distance
La valeur mit entre nous deux?
Dans mille combats périlleux
J’ai hasardé mon existence.
Aussi terrible que hardi,
Sur des monceaux de morts j’ai couru, j’ai bondi :
Blanchissant de sueur, et rayonnant de gloire,
J’ai bravé le carnage et fixé la victoire.
Que faisiez-vous alors dans ces heureux cantons,
Mesdames les Brebis, et messieurs les Moutons?
Que faisais-tu sur-tout, toi qui, plein d’insolence,
As le front de venir brouter en ma présence?
Je ne m’en cache pas ; dans ces asiles frais,
Répondit le Mouton, d’une innocente paix
J’ai constamment goûté les charmes.
Vous vous plaisez dans les alarmes ;
Le calme a pour moi des attraits.
Peu jaloux de la renommée,
Je hais les combats, je les fuis;
Mais je sers dans mon genre, et j’habille l’armée
De la laine que je produis.
Une renommée éclatante
N’est pas toujours le prix d’un courage indompté.
Si Bucéphale arrive à l’immortalité,
N’y voit-on pas, de même, arriver Rossinante?
Croyez-moi, renoncez aux rêves de l’orgueil.
De vos grandeurs la mort détruira l’imposture ;
Pas plus qu’Aliboron vous n’aurez de cercueil,
Et des loups, comme lui, vous serez la pâture.
“Le Cheval et le Mouton”