Un cheval sous ses pieds fit tomber un mouton :
II écrasa la pauvre bête.
Le cheval en conçut, dit-on,
Un grand chagrin. Le cœur du cheval est honnête ;
Même il éprouva des remords : (
A propos d’un mouton ! ce n’est pas ordinaire.)
Le mal avait été pourtant involontaire.
— Ah! disait le cheval, n’ai-je pas de grands torts?
Je m’échappe au galop sans affaire pressante,
Et j’écrase en passant une bête innocente
Et si douce… – Un vautour l’interrompit : – Comment !
Vous pleurez pour si peu de chose !
Vous êtes fou, je le suppose.
Moi qui vous parle, assurément
Je suis bien autrement infâme !
Il n’est pas de jour qu’un lapin
Sous mes serres ne rende l’âme.
Le beau malheur, ma foi! Jupin
Qui veut, j’en suis sûr, que je mange,
Entend qu’un lapin soit mangé ;
Chassez donc le remords étrange
Dont votre cœur est assiégé. —
— Laissez-moi déplorer un accident funeste,
Dit le cheval ; mais je comprends
Que vos repentirs soient moins grands :
Le remords est selon la vertu qui nous reste.
“Le Cheval et le Vautour”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885