Jean François Haumont
Militaire, poète et fabuliste XVIIIº – Le Chevalier et le l’Âne
Un cheval andalou, de superbe encolure,
Par un beau jour cheminait
Avec un pauvre baudet,
Habitant d’Arcadie, à la triste figure.
Chemin faisant on devisait ;
Le grave espagnol racontait
Avec fierté son illustre origine,
Les exploits de ses aïeux,
Dans plus d’un combat fameux ;
Il s’exaltait beaucoup ; sa race était divine ;
Parlait de ses propres exploits ;
Comme il avait vaincu dans différents endroits,
Portant le général, ou chef de la brigade ;
Il n’oubliait pas sa beauté,
Ses grâces, sa légèreté,
Quand il se présentait en montant la parade.
Pour vous, mon très-cher baudet,
Digne compagnon du mulet,
On aperçoit à votre mine,
Que la nature vous destine
Au service du moulin,
Pour y voiturer le grain
Et rapporter la farine ;
C’est-là de vos exploits la fin :
Mais vous avez la voix charmante,
Sonore, flexible et touchante !
— Vous faites le plaisant, monseigneur l’andalou !
De vos perfections je ne suis point jaloux.
Vous êtes beau, bien fait ; quant à votre courage,
D’un guerrier tel que vous c’est le moindre partage.
Chaque animal a son utilité ;
Je m’en tiens à mon lot ; je crois, en vérité,
Qu’il peut valoir le vôtre.
Tel qu’on veut mépriser, s’estime autant qu’un autre.
Portant aux champs de Mars un superbe héros,
Vous partagez sa gloire, ses travaux ;
Et moi je porte la farine.
Je sers le bon meunier, très-utile aux humains;
Vous, le guerrier qui se destine
A répandre leur sang de ses fatales mains ;
Je crois qu’il est plus beau, soit dit sans vous déplaire,
De servir les humains, que leur porter la guerre.
Comme ils parlaient ainsi, le coursier ne voit pas
Un bourbier profond sous ses pas ;
Il tombe dans le précipice.
Le chemin écarté, n’offrait aucun secours.
Qui pourra me servir! quel sera mon recours !
S’écriait le cheval : le baudet, par malice,
Dit: seigneur, déployez votre superbe voix ;
L’écho répétera vos accents dans les bois ;
Implorez des humains la bonté charitable,
Bientôt vous sortirez de ce lieu misérable.
Le malheureux hennit, mais sans aucun effet.
Criez à votre tour, dit-il, ami baudet.
– Croyez-vous que ma voix charmante,
Puisse un peu remplir votre attente ?
– Tu te venges, cruel, ah! me voilà perdu !
L’âne était bon, tonna, fut entendu.
Notre andalou sauvé, changea bien de langage :
De ce baudet, dit-il, j’ai méprisé la voix ;
Sans elle, hélas ! c’en était fait de moi
Heureux qui voit ses torts ! L’adversité rend sage.
Point d’orgueil ; ne traitons personne avec mépris,
Et dans tous les états faisons-nous des amis.
Jean François Haumont, Le Chevalier et le l’Âne