De tout temps les Chevaux ne sont nés pour les hommes.
Lorsque le genre humain de gland se contentait,
Âne, Cheval, et Mule, aux forêts habitait ;
Et l’on ne voyait point, comme au siècle où nous sommes,
Tant de selles et tant de bâts,
Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses,
Comme aussi ne voyait-on pas
Tant de festins et tant de noces.
Or un Cheval eut alors différent
Avec un Cerf plein de vitesse,
Et ne pouvant l’attraper en courant,
Il eut recours à l’Homme, implora son adresse.
L’Homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,
Ne lui donna point de repos
Que le Cerf ne fût pris, et n’y laissât la vie ;
Et cela fait, le Cheval remercie
L’Homme son bienfaiteur, disant : Je suis à vous ;
Adieu. Je m’en retourne en mon séjour sauvage.
– Non pas cela, dit l’Homme ; il fait meilleur chez nous :
Je vois trop quel est votre usage.
Demeurez donc ; vous serez bien traité.
Et jusqu’au ventre en la litière.
Hélas ! que sert la bonne chère
Quand on n’a pas la liberté ?
Le Cheval s’aperçut qu’il avait fait folie ;
Mais il n’était plus temps : déjà son écurie
Était prête et toute bâtie.
Il y mourut en traînant son lien.
Sage s’il eût remis une légère offense.
Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C’est l’acheter trop cher, que l’acheter d’un bien
Sans qui les autres ne sont rien.
Stésichore, 570 à 540 av. J.-C
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
(1) De tout temps les Chevaux ne sont nés. Il faut ne sont pas nés. ( Cheval s’étant voulu venger du Cerf )
(2) Ane, Cheval et Male aux forêts habitoit. Le verbe n’est au singulier que pour la rime. On ne dit point habite aux forêts, mais dans les forêts.
(3) Tant de selles et tant de bâts. Cette bruyante enumération peint le fracas de tous nos équipages. Mais on ne voit pas le rapport de tant de festins avec tant de harnois.
(4) Avec un Cerf plein de vitesse. La Fontaine a préféré le Cerf au Sanglier que Phèdre donne au Cheval pour ennemi. Il semble que le Cerf et le Cheval combattant à-peu-près à armes égales, ce n’est pas contre un semblable adversaire que ce dernier a dû implorer le secours de l’homme. Il n’en est pas de même du Sanglier, ennemi contre lequel l’homme suffit à peine.
(5) …….. Et n’y laissât la vie.
Et cela fait, Batologie qu’il faut éviter en vers comme en prose.
(6) Fait folie. Dites fait une folie.
P. Pithou ( sous le nom de M. D’Aubray ) a fait une Belle application de cet apologue, dans le discours qu’il suppose avoir été tenu à l’Assemblée des Etats-Généraux, sous la Ligne : « Vous avez fait comme le cheval qui, pour se défendre du cerf, lequel il sentait plus viste et plus vigoureux que lui, appela l’homme à son secours ; mais l’homme lui mit un mors, etc. ». ( Sat. Ménippée, T. I. p. 170. )
Les Fables de Lafontaine analysées par Charles Aubertin, 1891
L’un l’autre s’attaquant, ne font pas leurs affaires.
(Sat. XII.) Le Cheval s’étant voulu venger du Cerf
Boileau, après La Fontaine, a repris ce mot de son devancier dans une épigramme contre les rédacteurs du Journal de Trévoux (1703).
Apprenez un mot de Régnier,
Notre célèbre devancier :
Corsaires attaquant corsaires
Ne font pas, dit-il, leurs affaires.
(Boileau, Epigr., XXVII.)
Stésichore, cité par Aristole (Rhét., L. II, ch. XX).— Horace, Ep. X, L. I.— Phèdre, L. IV, f. IV. Remarquez la construction bizarre du titre de cette fable: elle mêle deux formes différentes. L’une active (ayant voulu, etc.), l’autre réfléchie (s’étant vengé) ; la forme active est sacrifiée à la forme réfléchie parce que le pronom se commence la phrase et que l’idée principale est exprimée par « se venger ». Nous trouvons un autre exemple d’une construction pareille, qui, d’ailleurs, n’est point à imiter, dans la Mort et le Mourant (L. VIII, f. I) :
S’étant su lui-même avertir…Lire la suite