Qu’ai-je fait pour me voir ainsi
Mutilé par mon propre maître ?
Le bel état où me voici !
Devant les autres Chiens oserai-je paraître ?
O rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,
Qui vous ferait choses pareilles ?
Ainsi criait Mouflar, jeune dogue ; et les gens
Peu touchés de ses cris douloureux et perçants,
Venaient de lui couper sans pitié les oreilles.
Mouflar y croyait perdre ; il vit avec le temps
Qu’il y gagnait beaucoup ; car étant de nature
A piller ses pareils, mainte mésaventure
L’aurait fait retourner chez lui
Avec cette partie en cent lieux altérée :
Chien hargneux a toujours l’oreille déchirée.
Le moins qu’on peut laisser de prise aux dents d’autrui
C’est le mieux. Quand on n’a qu’un endroit à défendre,
On le munit de peur d’esclandre :
Témoin maître Mouflar armé d’un gorgerin,
Du reste ayant d’oreille autant que sur ma main ;
Un Loup n’eût su par où le prendre.
Analyses de Chamfort – 1796.

V. 1. Qu’ai-je fait pour me voir ainsi ?
Nous avons déjà vu quelques exemples de ce tour vif et animé, qui met d’abord le personnage en scène.
Après le sentiment de la douleur physique, vient celui de l’injustice qui lui fait subir un pareil traitement; et puis l’indignation contre l’ingratitude ; enfin l’amour-propre a son tour.
V. 4. Devant les autres chiens oserai-je paraître ?
Un homme n’aurait pas mieux dit.
Les six vers dans lesquels La Fontaine exprime la moralité de cet Apologue, ont le défaut de ne pas sortir de l’exemple de Mouflar. La vraie moralité de la pièce est dans la fable même :
V. 10…. Il vit avec le temps
Qu’il y gagnait beaucoup. . . .
Ou il fallait ne pas mettre de moralité du tout, ou bien il fallait laisser la Mouflar, et dire que, souvent d’un, malheur qui nous a causé bien du chagrin , il est résulte des avantages inappréciables et imprévus. Souvenons-nous désormais de faire cette réflexion , dans les accidents qui peuvent nous survenir. “Le Chien à qui on a coupé les oreilles”