En ses rêves profonds Pythagore a raison.
L’âme est de corps en corps constamment exilée.
Selon ce qu’elle a fait, quand elle est envolée,
Elle a droit de choisir sa nouvelle prison.
Des mondes inégaux sont semés dans l’espace,
Et chaque être créé de l’un à l’autre passe.
Il naît sur un soleil d’un ordre inférieur ;
En d’autres plus parfaits tour à tour se promène,
Et de ses facultés élargit le domaine,
Pour être digne enfin du monde le meilleur.
Ce n’est pas celui-ci ; mais en ses longs voyages,
Toute âme doit chez nous faire une station.
Ce globe est un degré de la création.
Une étape à travers les âges.
Or une âme sortant d’une étoile des cieux,
Voltigeait dans l’azur, errante et solitaire,
Quand un ange au front gracieux
Vint lui dire : Le sort t’appelle sur la terre :
L’ordre préétabli qui marque ton chemin
T’oblige à respirer cette atmosphère épaisse,
Et t’enrôle au milieu de la bizarre espèce
Que l’on appelle genre humain.
De ton existence passée
Tu n’as point de remords, et tu sus mériter,
Comme une âme de bien, d’être récompensée.
Choisis donc le logis que tu veux habiter.
Te plaît-il, en vertu des droits héréditaires,
De naître sur le trône, ou d’avoir pour parents,
Des riches, des bourgeois, de simples prolétaires ?
— Je vois bien à chacun des langes différents,
Répondit l’âme philosophe.
Mais tous les nouveau-nés sont faits de même étoffe ;
A la même clarté leurs yeux se sont ouverts ;
Ils grimacent de même en leurs berceaux divers.
Au chevet des enfants la douleur est assise,
Dans le rang le plus humble ou le plus élevé.
Bel ange, pour fixer ma pensée indécise.
Montre-moi l’avenir qui leur est réservé.
— L’avenir est un grand mystère,
Reprit le divin messager ;
Mais, jette un regard sur la terre :
Les rois sont exilés sur le sol étranger.
Leur puissance décline et tombe ;
Vieux titres, parchemins, privilèges, blason
Sont consumés en hécatombe
Sur les autels de la raison.
L’homme brise aujourd’hui, d’une main empressée.
Les idoles qu’il se forma ;
L’orgueilleuse opulence est aussi menacée
Par le malheur qu’elle opprima.
De souffrir le peuple se lasse,
Il se relève avec fierté.
Il grandit, parle en maître, et réclame sa place
Au nom de la justice et de l’humanité !
(Certain de son pouvoir, désormais sans colères.
Il pourra détrôner des abus séculaires.
Aisément il démolira
Un édifice qui chancelle ;
L’heure approche où s’accomplira
La délivrance universelle ! »
L’ange dit, et l’âme soudain
Traversa les champs de lumière,
Et, devant les palais passant avec dédain,
Elle entra dans une chaumière.
“Le Choix d’un corps”
Emile de la Bédollière, 1812 – 1883.