Un cochon s’étant mêlé à un troupeau de moutons paissait avec eux. Or un jour le berger s’empara de lui; alors il se mit à crier et à regimber. Comme les moutons le blâmaient de crier et lui disaient : « Nous, ils nous empoigne constamment, et nous ne crions pas», il répliqua : « Mais quand il nous empoigne, vous et moi, ce n’est pas dans la même vue ; car vous, c’est pour votre laine ou votre lait qu’il vous empoigne ; mais moi, c’est pour ma chair. »
Cette fable montre que ceux-là ont raison de gémir qui sont en risque de perdre, non leur argent, mais leur vie.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Cochon la Chèvre et le Mouton
Une chèvre, un mouton, avec un cochon gras,
Montés sur un même char, s’en allaient à la foire.
Leur divertissement ne les y portait pas ;
On s’en allait les vendre, à ce que dit l’histoire :
Le charton n’avait pas dessein
De les mener voir Tabarin.
Dom pourceau criait en chemin
Comme s’il avait eu cent bouchers à ses trousses.
C’était une clameur à rendre les gens sourds.
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s’étonnaient qu’il criât au secours;
Ils ne voyaient nul mal à craindre.
Le charton dit au porc :« Qu’as-tu tant à te plaindre ?
Tu nous étourdis tous : que ne te tiens-tu coi?
Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi,
Devraient t’apprendre à vivre ou du moins à te taire :
Regarde ce mouton, a-t-il dit un seul mot?
Il est sage. – Il est sot,
Repartit le cochon : s’il savait son affaire,
Il crierait, comme moi, du haut de son gosier;
Et cette autre personne honnête
Crierait tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu’on les veut seulement décharger,
La chèvre de son lait, le mouton de sa laine:
Je ne sais pas s’ils ont raison ;
Mais quant à moi qui ne suis bon
Qu’à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit et ma maison.»
Dom pourceau raisonnait en subtil personnage.
Mais que lui servait-il ? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)