Félix MOUSSET
Dans une vaste basse-cour,
Présidant au réveil du jour,
Un coq à la voix claire, à la crête éclatante,
Régnait sur son troupeau. Son ardeur vigilante
Jamais n’était mise en défaut.
Si dans la broussaille voisine
Le renard préparait une guerre assassine,
Notre coq lançait aussitôt
Ses notes de clairon.Il chantait fort et haut.
En vérité, c’était un coq de haute marque,
Paré de plumes d’or, noble et majestueux,
Ayant sujets, harem, tout le train fastueux
D’un puissant et riche monarque.
Par un caprice singulier,
Après avoir joui de sa toute-puissance,
Il la prit en dégoût. Toujours la défiance,
Prendre sur son sommeil et toujours épier,
N’était-ce pas un sot métier ?
Encore, si l’on gagnait de la reconnaissance !
Mais on ne trouvait en tous lieux
Que des jaloux, des envieux.
S’étant donc ainsi fait ce discours sans réplique,
Le coq un jour avec éclat abdique.
Jugez si ce furent des cris !
Il put compter ses ennemis.
Leur triomphe, huit jours troubla la république.
Le coq, redevenu modeste citoyen,
Prenait tout son sommeil, veillant à ses affaires,
Et s’accordait enfin les loisirs nécessaires.
Il savourait la paix, seul et souverain bien.
Un jour pourtant la guerre éclate ;
Le nouveau chef, rempli d’ardeur,
Devant tous, hautement, se flatte
De revenir mort ou vainqueur.
De fait, il se couvrit de gloire
Au bruit des acclamations.
A l’ombre des lauriers cueillis par la victoire,
Terreur des autres nations,
Il revint au pays. L’ancien roi solitaire
Vainement rappelait à quelques familiers
Son antique valeur et ses anciens lauriers :
Il les vit cachant mal un dédaigneux sourire.
Amèrement, il regretta les temps heureux de son empire.
Son destin se précipita.
Il mourut de douleur dans sa retraite obscure,
Subissant de l’oubli l’impardonnable injure.
Moralité
Singulier effet du pouvoir :
Aussi longtemps qu’on le possède.
Il vous écrase, il vous excède ;
Mais dès qu’on ne l’a plus, on brûle de l’avoir.
“Le Coq déchu”