Un grand coq bien dodu, paré d’un beau plumage ;
Avait fixé sa cour au sein d’un gros village :
De tous les poulaillers il devint la terreur,
Au point que les chapons l’appelaient Monseigneur.
C’était un être avare, un fourbe, un hypocrite ;
En un mot ce qu’on nomme, en français, un jésuite.
Lorsque la ménagère, aux robustes appas,
Dans son large tablier apportait le repas,
Et sur le frais gazon lançait à l’aventure
Les graines que pour tous fait mûrir la nature,
Notre fier matamore, armé de ses ergots,
Ne laissait que la cosse à ronger aux nigauds :
Poules, poulets, poussins faisaient si triste mine
Qu’on les crut sur le point de périr de famine.
Un jour, c’est en Février, le plus crâne d’entre eux,
Dans un gala, leur fit un discours chaleureux ;
Il terminait ainsi : « Soyons unis, mes frères,
Et nous mettrons un terme à nos longues misères. »
Hormis les corrompus (car il en est partout),
La volaille trouva le conseil de son goût,
Et, sans désemparer, dans la même séance,
Du coq on prononça la triste déchéance ;
De plus on décréta que notre vieux larron
Ne mettrait plus les pieds sur le sol du canton :
Voyant qu’il ne pouvait arrêter la tempête,
Il partit tout honteux ; sans tambour ni trompette ;
Il s’était déguisé pour faire son chemin :
Hélas ! il avait l’air d’un sombre pèlerin.
Tous nos Gallinacés, ivres de leur victoire,
Ne s’occupèrent plus qu’à chanter, rire et boire,
Tandis que les vendus aux amis du partant
Contre les basses-cours conspiraient sourdement :
Ce sont de fins matous qui savent bien s’entendre
Et baiser à propos celui qu’ils voudraient pendre ;
Pour preuve, ils firent croire à l’imprudent poulet
Qu’il devait se donner un maître, un roitelet ;
Ils employèrent tout, le grain et l’artifice,
Pour lui faire nommer un coq noir de malice ;
Et loin de se choisir et de prendre un des leurs,
Ils se donnent un chef du sang des grands bretteurs.
Pour-mieux consolider sa force, sa puissance,
Six millions de votants lui prêtent assistance ;
Il avait fait entendre au crédule badaud
Qu’il lui ferait manger du froment à gogo ;
Il promettait beaucoup avant d’avoir la place :
Quand il fut accepté, comme il changea de face !
Il ne devait manger que six quintaux de pain ;
Mais douze maintenant n’apaisent pas sa faim.
Combien il est aisé de tromper l’innocence,
Surtout dans ce pays que l’on nomme la France !
Qu’en est-il advenu ? — Que nos pauvres poulots,
Par trop de confiance, aujourd’hui sont penauds,
Et que, loin de manger du froment, la farine,
Ils sont près de mourir de honte et de famine.
De ma fable, Électeur, la morale t’apprend
A ne jamais nommer seigneur ou prétendant,
A régir bien ou mal toi-même tes affaires,
A ne pas te jeter dans les bras de faux frères.
Aurillac, le 3 mai 1849.
” Le Coq”