Un jeune coq, las de traîner ses jours,
Solitaire et superbe au fond des basses-cours,
Dépouilla son humeur sauvage,
Et se choisit pour compagnon
Certain mouton du voisinage
Qui lui revenait fort d’humeur et de visage.
C’était un excellent mouton,
Honnête et douce créature, 1
Candide, sans malice, et bête outre mesure.
Bête, c’était fâcheux : mais il était si bon !
Il se faut contenter, c’est la loi de la vie.
Rien n’est complet sur terre, et même, esprit, bonté
Vont moins souvent de compagnie,
Que sottise et méchanceté !
Nos deux amis firent donc bon ménage,
Surtout dans le commencement.
Le mouton parlait rarement,
Et n’en pensait pas davantage ; 2
Mais il savait, point capital,
Écouter aussi bien qu’aucun autre animal.
Il écouta si bien, qu’à bout de patience :
« C’en est trop, dit le coq, je suis las de jaser !
Parler tout seul n’est pas causer. 3
Voyez un peu la sotte engeance !
Cherchons un autre compagnon
Qui du ciel ait reçu plus d’esprit en partage. »
Aussitôt notre coq (on va vite à cet âge)
Jeta son dévolu sur un jeune dindon,
Qui de loin lui semblait charmant de caractère,
De près, ce fut une autre affaire ! 4
C’étaient de sots discours et des airs fanfarons ;
Des extases sur son plumage,
Des mots, des cris, un caquetage,
A troubler tous les environs.
Il ennuya de telle sorte,
Qu’il fallut le mettre à la porte ;
Et le chercheur d’amis, comprenant la leçon,
Se dit, en secouant la tête :
« Décidément j’aime mieux une bête,
Et je retourne à mon mouton. »
“Le Coq, le Mouton et le Dindon”
Esope chrétien (Louis Tremblay)
Voir aussi l’Commentaires sur la fable par l’Abbé O. Meurisse :
1 – La Fontaine, dans la fable, le Cochon, la Chèvre et le Mouton, nous peint aussi ces deux derniers animaux comme créatures plus douces, bonnes gens.
2 – Heureuse et spirituelle variante du fameux dicton : il ne dit rien, mais il n’en pense pas moins.
3 – Vers d’une charmante naïveté.
4 – De loin c’est quelque chose, et de près ce n’est rien, a dit La Fontaine dans la fable : le Chameau et les Bâtons flottants.