C’est toi seul que j’invoque, Illustre Lafontaine,
Quand je remets, après loi , sur la scène
Compère le renard avec maître corbeau.
Sans le secours de ton génie
Comment pourront-ils plaire ? en vain dans mon mon cerveau
Je chercherais un tour nouveau.
C’est par la divine harmonie,
L’enjoûment de ton style et sa naïveté ?
Qu’un lecteur peut être enchanté.
Voilà le charme de la fable ;
C’est par-là que ton livre aimable,
Présent de l’immortalité,
Sera toujours chéri de la postérité.
Mais comment marcher sur tes traces ,
Me dira-t-on, si ce n’est de bien loin ?
Aussi j’ai seulement besoin
De quelques-unes de tes grâces ;
C’en est assez pour orner mes écrits.
Inspire-moi dans cet ouvrage ;
Mes vers plairont : c’est à ce prix
Que les neuf Sœurs m’ont promis leur suffrage,
Maître corbeau , voyant maître renard
Qui portait un morceau de lard , Lui dit :
Que tiens-tu là , compère?
A mon avis , c’est un très-mauvais plat.
Je te croyais le goût plus délicat.
Quand tu peux faire bonne chère.
T’en tenir à du lard ! tu n’es qu’un pauvre hère.
Regarde près d’ici ces poules , ces canards :
Voilà le vrai gibier de messieurs les renards.
As-tu donc oublié ton antique prouesse?
Je t’ai vu cependant jadis un maître escroc.
Crois-moi t laisse ton lard : ces poules te sont hoc,
Si tu veux employer le quart de ton adresse.
Maître renard ainsi flatté,
Comme un autre animal sensible, à la louange ,
Met bas sa proie et prend le change :
Mais sa finesse et son agilité
Ne servirent de rien : car la gent volatile
Gagna le poulailler, son ordinaire asile.
Notre renard retourne à son premier morceau ;
Mais las ! qu’il fut honteux de voir maître corbeau
Qui le mangeait, perché sur le branchage
D’un arbre sec, et qui lui dit : Ami,
A trompeur trompeur et demi ;
Te souvient- il de ce fromage
Que tu m’escroquas l’autre jour?
Je fus un sot alors; et tu l’es à ton tour.
“Le Corbeau et le renard”