Pour se débarrasser des chats du voisinage,
Un amateur de jardinage,
Las de voir ses œillets foulés par les matous,
Ses melons et ses pois mis sens dessus dessous,
Et tous ses plants traités de même,
Imagina le cruel stratagème
De parsemer autour de sa maison
Force morceaux de viande imprégnés de poison.
Un Corbeau qui par là traversait d’aventure
Vite de se ruer au milieu des morceaux,
De les convoiter tous, de choisir le plus gros,
Et de tirer au large emportant sa pâture.
Comme il allait s’abattre lourdement,
Non loin de là, sur la cime d’un chêne,
Un Renard l’aperçoit. Le madré, lestement,
En renard érudit qui sait son la Fontaine,
Prépare en son esprit son petit compliment,
Se hâte, arrive à point pour se bien faire entendre :
« Ô vous, dit-il, qui venez de descendre
Si magnifiquement des plaines de l’éther,
N’êtes-vous pas l’oiseau de Jupiter ?
Oui, vous l’êtes, seigneur, qui pourrait se méprendre
A ce port noble et fier, à ce vol assuré
Qui fournit librement la plus haute carrière,
Et fait deviner l’aigle à la seule manière
Dont il s’est balancé dans l’espace azuré !
Eh quoi ! les dieux, enfin, touchés de ma prière,
Vous auraient-ils, seigneur, vers moi-même envoyé ?
M’apportez-vous un don par l’Olympe octroyé ?
D’un messager des cieux descendant vers la terre,
D’un aigle, se peut-il ? moi, chétif ici-bas,
Moi, recevoir de sa puissante serre
Ce mets délicieux que je n’espérais pas,
Et que le maître du tonnerre
A retranché pour moi de son divin repas ! »
Le glorieux, dans sa trompeuse joie
D’être pris pour un aigle, abandonne sa proie.
« Le Renard s’en saisit, » pendant que le Corbeau,
Tout à son aise, fait le beau.
Mais le miel des flatteurs, la louange traîtresse
Qu’on croit mener à bien, souvent conduit à mal ;
Le diner du compère est un parfait régal ;
Mais la douleur bientôt succède à l’allégresse ;
Mais sa ruse déjà va contre son dessein :
Et le poison vengeur, qui circule en son sein,
Se charge d’attacher un doute
Sur l’ancienne leçon qui dit que : « Tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute. »
Si ce sujet plaît au lecteur,
Je ne l’ai point trouvé ; Lessing en est l’auteur.
“Le Corbeau et le renard”