Une vieille Cochinchinoise,
Pour jouer une niche à la gent souriquoise
Qui faisait chaque jour, à la barbe des chats,
Quelques dégâts dans son ménage,
Avait mis de la mort aux rats Dans un fromage,
Et l’avait fait sécher sur un banc de gazon.
Un corbeau tout à fait sans gène
Le voit, et, sans plus de façon,
L’emporte dans son bec sur les branches d’un chêne.
Un renard passait en flairant,
Le mufle au vent.
« Je ne me trompe pas!… je n’ai point la berlue!
C’est le roi des oiseaux!… c’est bien lui que je voi.
Oiseau de Jupiter! aigle!… je te salue!…
Me serais-je trompé? De grâce, réponds-moi,
Parle! ai-je bien l’honneur de saluer le roi?
— Oui… » Le corbeau voudrait rattraper son fromage
Qui tombe… Le renard vous le happe au passage,
Et vous lui donne un premier coup de dent.
« Ton fromage, d’honneur, mon cher, est succulent,
Lui dit-il avec ironie ;
J’en ai l’âme toute ravie :
Je ne sache pas de ma vie
Avoir mangé rien d’aussi bon, De plus… »
Il persiflait encor, quand le poison,
Faisant dans tout son corps un horrible ravage,
L’aîné, pensant qu’il était inutile
D’arroser de ses sueurs
Une terre ingrate, stérile,
Alla chercher fortune ailleurs.
Le plus jeune, au contraire,
Se mit avec courage à labourer sa terre,
Lui consacra tous ses soins et son temps,
Et cette terre si stérile,
En moins de trois à quatre ans,
Devenait dans ses mains une terre fertile,
Le nourrissait ainsi que ses enfants,
Quand son aîné se mourait de misère.
Cela rappelle à mon esprit
Ce que, quand j’étais tout petit,
J’entendais dire à défunt mon grand-père :
« Tant vaut l’homme, tant vaut la terre. »
Le force à changer de langage.
“Le Corbeau et le Renard, par Frédéric Jacquier”