Hippolyte de Thierry de Faletans
Certain Corbeau plus vain encore
Que son ancêtre, tant fameux,
Et fier, dit-on, ainsi que l’aigle dont l’aurore
Eclaire le vol glorieux,
Aperçut un matin une troupe candide
De Colombes et Pigeonneaux,
Qui s’élançaient de l’herbe humide,
Cherchant à dépasser le sommet des ormeaux;
Il se dit: A leurs faibles ailes
Procurons des forces nouvelles;
Pauvres êtres chéris, j’en ai vraiment pitié!
D’où vint cette étrange amitié,
Cet étonnant souci, cette rage d’instruire?
Il veut faire parler de lui… le pauvre sire!
Et par monts et par vaux,
Aussitôt cris confus pareils à mille trombes,
Lancent au loin l’annonce: « Accourez tourtereaux,
Et vous aussi douces colombes,
Devant ses bons amis, Corbeau vent vous dresser
A bien vous élancer sur les plus hautes crêtes,
Jusqu’aux régions des tempêtes,
Et même à vous balancer
Sous le soleil en tous parages,
Au dessus des clochers, dans les plus hauts nuages.
A dix heures, demain,
Venez sur le rocher voisin;
Vos excellentes mères,
De vos grands succès, seront fières ».
Trompant l’espoir de ce corbeau bouillant
L’appel n’eut pas un succès bien brillant:
Quelques Colombes de tout âge,
Des Pigeons par trop curieux,
Seuls se laissèrent prendre à tout ce vain tapage:
Ils sont là tout anxieux
Ecarquillant leurs yeux
Devant de noirs docteurs, aux serres bien cruelles !
Et le Corbeau lorgnant parmi les colombelles
Galamment lisse ses ailes;
Puis démontrant son savoir
(Sempiternel dévidoir!)
Préside ses amis, trop experts oiseleurs
Pour n’être pas de terribles censeurs…
Enfin, Pigeons, faucons, buses chacun se flatte
D’obéir à sa voix… L’on part vers les hauteurs…
L’oiseau prêche d’exemple et… se casse la patte.
Tous de rire on concert du trop fougueux Corbeau,
Et plus d’un joli fauconneau,
Profitant de l’instant, s’élance
Sur les naïfs tendrons
Epars aux environs…
Quelle danse!
Jurant qu’à ces leçons on ne l’y verrait plus
Le Corbeau tout honteux s’échappe l’aile basse…
Et maint élève tombe en de grands becs crochus:
« La faim vient en mangeant, maman Colombe y passe !.
Un rien peut égarer et même pervertir
Notre tendre moitié dans sa frêle jeunesse.
Une le savoir élevé, on peut en discourir,
Mais pour grand’dame, ou non, un parfum de simplesse
Doit mieux convenir;
Et ne vaut-il pas mieux pour une jeune fille
Apprendre la sagesse au sein de la famille,
Plutôt que de courir
A « l’école supérieure »
Où tout se défleure
A plaisir,
Où la candeur et même l’innocence
Dit-on, peuvent d’avance
Périr!
Laissons donc aux yankes de la libre Amérique
Leur « haut enseignement » comme leur république;
Ce qu’on estime bon dans tel ou tel pays,
Dans l’application, perd souvent de son prix.
“Le Corbeau et les Colombes”