Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort
Analyses : Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue, et le Rat de Chamfort – 1796.
- Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue, et le Rat.
V. 6. Que dans ce temple on aurait adorée.
Il me semble que les six vers suivants ne disent pas grand chose : Junon et le maître des dieux, qui seraient fiers de porter les messages de la déesse Iris ; cela n’ajoute pas beaucoup à l’idée qu’on avait de madame de la Sablière. Il faut, dans la louange , le ton de la vérité. C’est lui seul qui accrédite la louange, en même temps qu’il honore et celui qui la reçoit et celui qui la donne.
V. 22. Son art de plaire et de n’y penser pas.
Voilà un de ces vers qui font pardonner mille négligences, un de ces vers après lequel on n’a presque plus le courage de critiquer La Fontaine.
V. 26. Même des dieux : ce que le monde adore
Vient quelquefois parfumer ses autels.
Sa société était en effet très-recherchée, et cela déplaisait à plus d’une princesse. Mademoiselle de Montpensier, qui ne la connaissait pas, qui même ne l’avait jamais vue, dit, dans ses Mémoires, que le marquis de Lafare et nombre d’autres passaient leur vie chez une petite bourgeoise, savante et précieuse, qu’on appelait madame de la Sablière. » Cela veut dire seulement, en style de princesse, que madame de la Sablière avait de l’esprit et de l’instruction , qu’elle voyait bonne compagnie à Paris, et n’avait pas l’honneur de vivre à la cour.
V. 32. Car cet esprit qui, né du firmament.
Ces quatre rimes masculines de suite sont aussi trop négligées. Et puis le firmament est presque un mot de théologie qui paraît ici déplacé.
V. 38. Ceci soit dit sans nul soupçon d’amour.
Il ne fallait pas revenir là-dessus, après avoir dit beaucoup mieux et sans apprêt :
V. 39. Car ce Cœur vif et tendre infiniment
Pour ses amis, et non point autrement.
Le reste me paraît faible.
Je trouve aussi l’idée de la fable un peu bizarre , mais il y a des vers heureux. J’en remarquerai quelques-uns.
V. 55. . . Douce société. A la bonne heure, quoique je la trouve un peu singulière.
V.56. Le choix d’une demeure aux humains inconnue.
La Fontaine ne passe point pour misanthrope. C’est qu’il n’a point la mauvaise humeur attachée à ce défaut. Mais nous avons déjà vu plusieurs traits sanglants de satire contre l’humanité : et ce dernier montre assez ce qu’il pensait des hommes.
V. 77. Car, à l’égard du cœur, il en faut mieux juger.
C’est-là un trait charmant d’amitié, de ne pas croire à l’oubli, aux torts, au refroidissement de ses amis.
V. 134. A qui donner le prix ? au cœur , si l’on m’en croit.
C’est donc La Fontaine qui aura ce prix : car on ne peut mieux prendre le ton du cœur qu’il ne le prend dans ce dernier morceau. Il rappelle en quelque sorte celui qui termine la fable des deux amis, celle des deux pigeons. Mais le sujet ne permettait pas une effusion de sentiments aussi touchante. Il y a , entre ce morceau et les deux que je cite, la même différence qui se trouve entre l’intérêt d’une société aimable et le charme d’une amitié parfaite.
Il paraît que cette fable avait été laissée dans le porte-feuille de l’auteur , et qu’elle était faite depuis long-temps ; car il y parle un peu d’amour : ce qui eût été ridicule à l’âge où il était, quand ce douzième livre parut. Au reste , peut-être n’y regardait-il pas de si près ; peut-être croyait-il que, tant que l’âme éprouve des sentiments, elle peut les énoncer avec franchise. Il ne songeait point à une vérité triste qu’un autre poète a , depuis La Fontaine , exprimée dans un vers très-heureux ; la voici :
Quand on n’a que son cœur, il faut s’aller cacher.