Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Le Corbeau voulant imiter l’Aigle
L’Oiseau de Jupiter enlevant un mouton,
Un Corbeau témoin de l’affaire,
Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l’heure autant faire.
Il tourne à l’entour du troupeau,
Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai Mouton de sacrifice :
On l’avait réservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard Corbeau disait, en le couvant des yeux :
Je ne sais qui fut ta nourrice ;
Mais ton corps me paraît en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture.
Sur l’animal bêlant à ces mots il s’abat.
La Moutonnière créature
Pesait plus qu’un fromage, outre que sa toison
Etait d’une épaisseur extrême,
Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphème.
Elle empêtra si bien les serres du Corbeau
Que le pauvre animal ne put faire retraite.
Le Berger vient, le prend, l’encage bien et beau,
Le donne à ses enfants pour servir d’amusette.
Il faut se mesurer, la conséquence est nette :
Mal prend aux Volereaux de faire les Voleurs.
L’exemple est un dangereux leurre :
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands Seigneurs ;
Où la Guêpe a passé, le Moucheron demeure.
Autre analyse
Analyses de Chamfort
V. 8………… Pour la bouche des dieux.
Cette exposition montre la finesse d’esprit de La Fontaine. Les dieux étaient supposés respirer l’odeur des sacrifices , mais non pas manger les victimes. La Fontaine, par ce mot de la bouche des dieux, indique leurs représentants, qui avaient soin de choisir les victimes les plus belles et les plus grasses.
Les quatre derniers vers sont charmants ; le second et le quatrième sont devenus proverbes. Ce rapport de sons répété deux fois entre la rime de eure et celle de eurs, les gâte un peu à la lecture. Le Corbeau voulant imiter l’Aigle
Commentaires de MNS Guillon
Dans l’île de Feroé, le Corbeau est de tous les oiseaux de proie le plus redoutable aux Brebis. On lui fait la chasse; et il est d’usage qu’a certain jour de l’année, chaque habitant apporte à la cour de justice un bec de Corbeau. Ces oiseaux se jettent impitoyablement sur les petite Agneaux, et leur crèvent les yeux pour les empêcher de se sauver. Souvent ils les ont mangés avant que les paysans soient arrivés au secours.
La Fontaine, qui doit à l’apologue grec le sujet de sa fable, a substitué le Corbeau au Geai, oiseau qui n’est point Carnivore, ou du moins ne s’attache point à de forts animaux, et n’est point de taille à paroître lutter contre un Aigle.
(1) L’oiseau de Jupiter. L’Aigle élevé à cet honneur pour avoir transporté dans le ciel Ganimède, beau jeune homme aimé de Jupiter. C’est lui qui porte la foudre du maître des Dieux : et voilà celui dont un Corbeau veut être le rival !
(2) Il tourne à l’entour du troupeau, etc. Peinture exquise dont la nature et la société offrent souvent les modèles. Avant de commencer leur attaque, l’oiseau de proie et le voleur privé emploient cette manœuvre dont la représentation se termine ici très agréablement, d’abord par cette expression : gaillard Corbeau ; il se croit maître de sa proie, ce qui le rend plus gai ; ensuite par celle-ci : en le couvant des yeux. Avant de tenir son mouton dans ses serres , il le fixe, il le pénètre et le savoure en le couvrant de ses avides regards ; enfin par ce monologue où la galle le dispute au naturel : Je ne sais qui fut ta nourrice, etc….lire la suite…