Louis-François Jauffret
Littérateur, fabuliste XVIIIº – Le Corbeau
J’instruit que, dans le voisinage,
On critiquait tout à la fois
La discordance de sa voix
Et la couleur de son plumage,
Un Corbeau se dit : Faisons voir
Ce que peut le désir de plaire ;
Prenons une voix douce et claire;
Quittons enfin le manteau noir,
Je n’ai qu’à prier Philomèle
De me donner quelques leçons ;
Bientôt je chanterai comme elle,
Et je redirai ses chansons.
Comme lé cygne, avec constance
Je me plongerai dans l’étang,
Et m’y laverai tant, je pense,
Qu’à la fin je deviendrai blanc.
Le voilà donc qui s’évertue,
Par un beau zèle transporté ;
Mais son projet n’eut pas l’issue
Qu’en attendait sa vanité.
Il ne put se faire un ramage ;
Et, jugez de son désespoir,
L’eau, loin de blanchir son plumage,
Le fit paraître encor plus noir.
Le temps s’écoule ; il se résigne.
Pourquoi voudrais-je être plus beau ?
Dit-il ; le cygne est toujours cygne,
Et je serai toujours Corbeau.
Cédons au destin sans murmure ;
Gardons mon plumage et ma voix :
L’art peut corriger quelquefois,
Mais jamais changer, la nature.
Louis-François Jauffret