Les méchants quelquefois exaltent la vertu ;
C’est un hommage involontaire :
Crains-tu de t’y tromper, jeune homme ? qu’attends-tu ?
Laisse à part leurs discours, vois ce qu’ils savent faire.
Près de Memphis, séjour délicieux
Où les arts, la fable et les dieux
Presque à la fois prirent naissance,
Un crocodile déjà vieux
Etoit tombé, sans espérance,
Dans ces pièges profonds que l’homme industrieux
Creuse le long du Nil pour hâter sa vengeance
Contre ces monstres furieux.
Celui-ci périssoit, quand il vit sur la rive
Le seul de ses petits qu’eût épargné le sort :
Arrête, malheureux ! viens- tu chercher la mort ?
Lui dit-il d’une voix plaintive.
Si le ciel eut ici secondé mes efforts,
J’aurois prouvé par mes remords
Combien dans le fond je déteste
Mes barbares excès, ma cruauté funeste.
Fuis, évite ces bords affreux ;
Laisse le soin à la nature
De pourvoir à ta nourriture :
Mais respecte sur-tout les mortels malheureux,
Et n’exerce jamais contre eux
De leurs cris imités la sanglante imposture :
Le bonheur, le repos, la paix,
Veux- tu les mériter ? abjure nos forfaits.
A peine il finissoit qu’une jeune génisse
Vint tomber par mégarde au fond du précipice :
Mon sermonneur impénitent
Vous l’expédie au même instant.
Fort bien, dit le petit ; j’admire votre zèle
Vous peignez la vertu des traits les plus touchants :
Le portrait est, je crois, fidèle ;
Mais je n’y reconnois aucun de nos penchants,
Il seroit un peu long d’en chercher le modèle.
Mais si déjà j’imite et vous et vos pareils,
N’en murmurez pas, je vous prie,
Car je retiendrai vos conseils
Pour les redire aux miens à la fin de ma vie.
Le discours le plus fort, le trait le plus moral
Font l’effet tout au plus d’une belle copie ;
Mais l’exemple constant, voilà l’original.
“Le Crocodile au piège”