Un mort s’en allait tristement
S’emparer de son dernier gîte ;
Un Curé s’en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,
Et vêtu d’une robe, hélas ! qu’on nomme bière,
Robe d’hiver, robe d’été,
Que les morts ne dépouillent guère.
Le Pasteur était à côté,
Et récitait à l’ordinaire
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des répons :
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s’agit que du salaire.
Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,
Comme si l’on eût dû lui ravir ce trésor,
Et des regards semblait lui dire :
Monsieur le Mort, j’aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus l’achat d’une feuillette
Du meilleur vin des environs ;
Certaine nièce assez propette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient voir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt survient, adieu le char.
Voilà Messire Jean Chouart
Qui du choc de son mort a la tête cassée :
Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;
Notre Curé suit son Seigneur ;
Tous deux s’en vont de compagnie.
Proprement toute notre vie ;
Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait,
Et la fable du Pot au lait.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
Nous ne ferons aucune remarque sur cette méchante petite historiette à qui La Fontaine a fait, on ne sait pourquoi, l’honneur de la mettre en vers. Elle a d’ailleurs l’inconvénient de retomber dans la moralité de la précédente, qui vaut cent fois mieux ; aussi personne ne parle de Messire Jean Chouan, mais tout le monde sait le nom de la pauvre Perrette.
D’où vient que cette fable si bien racontée , n’intéresse que faiblement; tandis que la fable de la Laitière nous charme et nous entraîne ? Cette différence tient, je crois, à plusieurs causes. 1°. Ce n’est en quelque sorte qu’une contrefaçon de la précédente. 2°. On n’aime pas à voir, sur la scène naïve de l’apologue, un ministre de la religion , quel qu’il soit. De même, pour l’autre personnage , un mort n’est pas un objet assez plaisant pour exciter à rire. 3°. Les images champêtres au milieu desquelles nous transporte la laitière, donnent à cette fable l’air enjoué, mais toujours modeste de l’Idylle. Ici vous croyez voir une caricature échappée à Rabelais ou à Villon dans l’accès d’une orgie bachique. 4°. Enfin, à la place de ces songes riants qui se terminent par la chute d’un pot au lait, le dénouement de la seconde fable entr’ouvre sous nos yeux un tombeau de plus. Voilà certes un contraste bien hideux, et une perspective bien sombre. Au reste, il y a dans cette fable des deuils charmans, qu’il seroit injuste de ne pas relever.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Un Mort s’en alloit, etc. On remarquera dans les quatre premiers vers une cadence différente , selon l’action qu’ils désignent. Celui qui vient après est d’une mesure plus pompeuse. On en sent la raison ; ce sont les obsèques d’un mort de qualité.
(2) Robe d’hiver, robe d’été, Périphrase heureuse pour exprimer ce dénuement auquel la mort nous abandonne. Voilà donc à quoi se réduit toute la garde-robe de ces riches si fastueux dans leurs équipages !
(3) Monsieur le Mort, laissez-nous faire , est plaisant. Mais sont-ce des plaisanteries qui conviennent sur un fonds aussi sérieux ?
(4) On vous en donnera de toutes les façons , a quelque chose de dérisoire et de très-peu décent de la part d’un ministre des autels; d’ailleurs, comment accorder ces avances si généreuses avec la précipitation qu’on lui suppose dans ce vers ? Il s’en alloit
Enterrer ce Mort au plus vite.
(5) Il ne s’agit que du salaire , ne manque ni de naïveté, ni de finesse ; de naïveté, étant l’aveu de ces honteux tributs imposés sur ceux qui ne sont plus : de finesse , le poète , pour rendre le reproche plus piquant, mettant cette accusation indirecte dans la bouche de celui-là même qu’il suppose en être coupable… Lire la suite