Félix MOUSSET
Un crocodile audacieux
Ayant franchi la Méditerranée,
Voulut chercher sous d’autres deux
Une nouvelle vie un peu mieux ordonnée.
Il voulait expier le mal qu’il avait fait.
Songez donc ! Que d’humains sous sa dent criminelle
Trouvèrent le chemin de la nuit éternelle !
Chaque jour marquait un méfait.
Le voilà débarqué sur de nouveaux rivages,
Rempli de bonne volonté,
Bien loin de ces pays sauvages ;
Au milieu d’animaux remplis d’aménité ;
Mais ce ne fut pas sans secousse
Que le monstre africain se put accommoder
De menus vermisseaux et de poissons d’eau douce,
Sans aller ailleurs brigander.
Un jour, au bord du fleuve, un instant il aborde
Et rencontre là, par hasard,
Un animal fluet et souple, un vieux renard,
Un être de sac et de corde.
Celui-ci lui conta ses mille mauvais tours
La nuit, regorgement sans profit, pour la gloire,
Des animaux des alentours,
Sang versé par plaisir, implacable victoire,
Qui dévastait les basses-cours.
Rentré dans ses roseaux, le pauvre crocodile
Se dit : « Quelle tentation
De regagner mon ancien domicile !
Voilà donc tes effets, civilisation !… »
L’être est partout pareil, cruel et sanguinaire.
Portant comme un fardeau la tare héréditaire ;
Seulement chez les gens qu’on appelle bien nés,
Les vices sont plus raffinés.
“Le Crocodile et le Renard”