Un homme opulent nourrissait ensemble une oie et un cygne, non point pour le même objet, mais l’un pour soi chant, l’autre en vue de sa table. Or lorsque l’oie dut subir le destin pour lequel on l’élevait, il faisait nuit, et le temps ne permettait pas de distinguer les deux volatiles. Mais le cygne, emporté à la place de l’oie, entonne un chant, prélude de son trépas. Sa voix le fit reconnaître et son chant le sauva de la mort.
Cette fable montre que souvent la musique fait ajourner la mort.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Cygne et le Cuisinier
Dans une ménagerie
De volatiles remplie
Vivaient le Cygne et l’Oison:
Celui-là destiné pour les regards du Maître;
Celui-ci, pour son goût: l’un qui se piquait d’être
Commensal du jardin, l’autre de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries,
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l’onde, et tantôt se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le cuisinier, ayant trop bu d’un coup,
Prit pour oison le cygne; et le tenant au cou,
Il allait l’égorger, puis le mettre en potage.
L’oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.
Le cuisinier fut fort surpris,
Et vit bien qu’il s’était mépris.
« Quoi! je mettrais, dit-il, un tel chanteur en soupe!
Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s’en sert si bien!»
Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
Le doux parler ne nuit de rien.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)
Le Fermier et Le Cygne
Un Fermier attrapa le plus beau des Cygnes,
Croyant tenir une belle oie grasse.
De sa fin, l’oiseau discerna les signes ;
Dès lors, il commença à chanter avec grâce :
L’homme reconnut cette voix unique.
Bien que cette merveilleuse musique
Ne fut point pour être amnistié,
Le Fermier prit le Cygne en pitié.
« Cygne, lui dit-il en le caressant,
Aux Dieux en rien
Je ne veux paraître blessant
Puis, à qui chante si bien,
Je ne peux enlever la vie,
Cela serait vilénie. »
Nous décelons dans cette fable,
Un univers au nôtre comparable
Où amusent les frasques d’une célébrité,
Et dont on fait grande publicité,
Lui accordant une sorte de passe-droit.
Pourtant ce même droit
– Ainsi est nourri la disparité –
N’est pas donné au commun des mortels :
Ses écarts sont sacrifiés sur les autels
Du « N’importe quoi » et de la « Stupidité » !
- David Claude – (fabuliste contemporain)