André-Clément-Victorin Bressier
Un cyprès s’élevait sombre et majestueux
Au seuil de la paisible enceinte
Qu’au respect des mortels signale la croix sainte :
Là d’un noble seigneur reposaient les aïeux.
Maître de leur domaine à la fleur de son âge,
Le brillant héritier des modestes barons
Résolut de livrer au fer des bûcherons
Le tronc au lugubre feuillage.
« Abattons, disait-il, ce prophète du deuil
Qui semble me dire à toute heure :
Voici ta dernière demeure.
On ne le verra point ombrager mon cercueil. »
Déjà l’on apportait la fatale cognée :
« Bon jeune homme, dit le cyprès,
Aujourd’hui sera donc, si j’en crois ces apprêts,
Le terme de ma destinée.
Par toi mon arrêt est dicté ;
Et, cédant au premier caprice,
Tu commandes que je périsse,
Moi que ton aïeul a planté !
Que me reproches-tu ? Si ma sève stérile
Ne te donne aucun fruit, je n’exige aucun soin ;
J’occupe de ta terre une place inutile ;
Et, servant de guide au besoin,
Au passant égaré qui m’aperçoit de loin
J’indique le chemin qui conduit à la ville.
Le deuil de mes rameaux te cause de l’effroi !
Ah ! bannis cette crainte, et quand sur l’hémisphère
L’astre des nuits paraît, viens rêver près de moi.
Des secrets de la mort expliquant le mystère,
Mes pieds te montreront la tombe de ton père,
Vieillard sage et religieux ;
Et ma pyramide élancée,
Qui vers l’éternité ramène la pensée,
Te fera souvenir que son âme est aux cieux. »
Ce ne fut point en vain que l’arbre funéraire
Plaida sa cause au tribunal
Du maître qui l’avait proscrit dans sa colère ;
Il révoqua l’arrêt fatal.
On dit que, jeune encore, atteint par l’infortune,
Du monde il abjura le commerce trompeur.
La sagesse souvent est fille du malheur.
L’ombre mélancolique, au lieu d’être importune,
Eut alors pour lui des attraits ;
Et fuyant ses bosquets de lilas et de roses,
Sur le néant de toutes choses
Il venait méditer au pied du vieux cyprès.
“Le Cyprès”