Le fou ne ferme son colombier que quand la bête y a tout ravagé. Toujours dans une pleine sécurité, il ne voit que Ce qui arrive : mais le sage voit aussi ce qui peut arriver. La surprise le trouve sous les armes ; il sait qu’il n’est plus teins d’enrôler des soldats, de forger des armes, de réparer les murailles, lorsque l’ennemi est déjà aux portes de la ville. Un sanglier aiguisoit un jour ses défenses contre un pin antique, dont le tronc étoit aussi dur qu’un roc, et dont le Iront, élevé jusqu’aux nues, défioit les orages. Un daim voyant le sanglier préparer ses armes, lui dit : Eh ! Mon ami, quel danger te menace, quel ennemi se présente, pour te faire faire ces grands préparatifs ? Passe encore, si un ours, si seulement un loup se présentait, pour te livrer bataille. Je ne te conçois point, car je vois que tout est tranquille. Tu t’échauffes et tu te fatigues inutilement. Je crains que tu n’aies quelques grains de folie dans la tête. — Tais-toi, répartit le sanglier ; je vois que tu as ta vue bien courte. Malheur à tout animal assez stupide pour s’en rapporter à toi. Eh ! Quand vois-tu le chasseur avide de notre sang y avoir assez peu de prévoyance pour ne mettre son fusil en état que lorsque je le menace de mes défenses ? Vraiment, il seroit bien teins de songer à les aiguiser, quand je verrois l’ennemi venir fondre sur moi !
— La prévoyance gagne la moitié de la bataille. Combien n’a-t-on pas vu de généraux, à qui une trop grande sécurité a arraché des mains une victoire presque certaine ! »
“Le Daim et le Sanglier”
Johann Adolf Schlegel – 1721 – 1793