Un denier (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
Un double louis d’or, au front large & superbe ,
Tous deux échappés du cordon,
Côte à côte gissoient sur l’herbe.
Que fais-tu près de moi, dit d’un ton orgueilleux
Le métal arrogant à l’atome de cuivre ?
Dans le monde, où je brille , as-tu jamais su vivre ,
Toi méprisé des grands, & qui n’es cher qu’aux gueux?
L’humble voisin reprit : Je suis fort peu de chose ;
Mais je fus en tout tems utile aux malheureux,
Et tous les soirs l’homme laborieux
En son sang me métamorphose.
Je ne fais point de trahisons,
De crimes, ni d’achats sordides;
J’aime mieux hanter des haillons
Que des cœurs faux, des têtes vuides.
Jamais furie tapis d’une table de jeu
Je n’ai prêté mon nom à d’avares sottises.
Presque toujours,en présence de Dieu,
J’habite le trône des églises.
D’ailleurs, marqué du même sceau,
Et comme vous servant la république …
Un partant qui survint empêcha la réplique ;
Il ramassa l’écu si beau,
Sans oublier la chétive monnoie.
Mais que fit le passant ? le dirai-je ?
De l’un il soudoya fille de joie ,
Le denier fut pour le pauvre importun.
« Le Denier et le Louis d’or »
Louis-Sébastien Mercier, 1740 – 1814