André-Clément-Victorin Bressier
Tenant dans ses mains un panier,
La diligente ménagère
Appelait au festin la famille légère
De la basse-cour d’un fermier.
Au son accoutumé de sa voix glapissante,
Vous eussiez vu de toutes part
Accourir des pigeons, des poules, des canards
La troupe affamée et bruyante.
Pour avoir sa part du repas,
Un lourd dindon, formant l’arrière-garde,
Précipitait aussi ses pas ;
Mais dès qu’il voit qu’on le regarde,
Il se ravise et prend un air de sénateur :
De l’oiseau de Junon maussade imitateur,
Satisfait de lui-même, il étale sa queue,
Traîne l’aile en marchant ; sa crête rouge et bleue
Pend sur son bec grotesquement.
— « Oh ! La bonne caricature !
Dit un vieux coq ; il croit qu’on le trouve charmant,
Tandis que chacun rit de sa triste figure.
Ami dindon, plutôt que de te pavaner,
Viens avec nous prendre ta nourriture,
Ou tu cours risque de jeûner. »
De ce conseil prudent et sage
Le stupide animal ne fit point son profit ;
Il se rengorgea davantage,
Et voilà comme il répondit.
Affecter l’air grave et se taire,
C’est le mérite aisé dont un sot s’applaudit.
Avec raison le moraliste a dit :*
« La gravité du corps est un mystère
Inventé pour cacher les défauts de l’esprit. »
“Le Dindon”
*La Rochefoucauld, maxime 265.