Un homme très-savant, et de plus esprit fort,
Plaisantait des devins, des charmeurs, des sorcières,
Des tireurs d’horoscope ; il riait des lumières
Qu’ils prétendent avoir. L’un d’eux lui dit : « Ta mort
Aura lieu dans un an. — Et de quelle manière ?
Dit le docteur, non sans un peu d’émotion.
— Un mal du cerveau doit terminer la carrière ;
Le signe avant-coureur sera certain frisson.
Quand tu le sentiras, songe à la fin prochaine…
Adieu. » C’était le soir. Sans plus se mettre en peine,
Mon savant chez lui rentré, et se couche, et s’endort,
Et s’éveille au matin, sans souci du présage.
Et l’oublie onze mois ; —c’était là du courage,
Et même pour un esprit fort !
Un soir, ce temps passé, sur l’humide verdure,
Il prend un rhume assez léger,
Qui lui fait éprouver un frisson passager.
Le diseur de bonne aventure
(De mauvaise plutôt) revient à son esprit ;
Il soupe avec moins d’appétit.
Le lendemain, en sa figure,
Il croit trouver du changement ;
Il en est affecté : son sommeil s’en ressent :
De jour en jour son mal empire,
Et d’autant plus rapidement,
Qu’il le concentre… Comment dire
Le vrai sujet de son tourment ?
Plus vite bat son pouls, plus fort tremble sa lèvre,
Plus souvent palpite son cœur.
Sa frayeur redouble sa fièvre ;
Sa fièvre augmente sa frayeur.
Le jour fatal s’approche et de crainte l’accable.
En arrivant, il met le comble à sa terreur.
Bref, au milieu de ce jour redoutable,
Il mourut… du mal de la peur.
Qu’ai-je, à ton sens, voulu prouver par celte histoire ?
Est-ce qu’aux sorciers il faut croire ?
Qu’ils savent l’avenir ? qu’on doit les écouter ?
Non ; mais que l’on ne doit jamais les consulter ;
Qu’est bien fou qui se fie à sa propre sagesse,
Et que nul, ici-bas, n’est exempt de faiblesse.
“Le Diseur de bonne aventure”